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18 août 2013

Le Rallye des Camps 2013 par Kader Hamiche se poursuit dans l'effort et le devoir accompli, encore du courage Kader vous n'en manquez pas

Éditorial de lucienne magalie pons



Rallye des camps 2013 : Largentière, Roybon, Lescarène

    Les comptes-rendus d’étapes ont pris beaucoup de retard. La faute à des incidents dont je ne dirai pas tout. Mais, grâce à notre amie Francine Perez, je puis enfin me poser vingt-quatre heures. C’est ainsi que je puis relater en un article tout ce qui s’est passé depuis Bourg-Lastic.
Jeudi 8 août : Largentière (Ardèche)
    Après l’émotion de Bourg-Lastic, il fallut redescendre vers Béziers où des obligations administratives m’appelaient et où je fus bien avisé de porter mon vélo à réparer. L’ayant déposé, mardi à 17 h 30 chez Intersport, je n’attendis pas une demi-heure pour apprendre par téléphone qu’il était prêt à reprendre la route. Mais ce n’est que jeudi que je repris mon périple en train jusqu’à Nîmes, où je ratai la correspondance pour Alès, la SNCF ne s’étant pas gênée pour la faire partir alors que mon train avait eu quelques minutes de retard.
    La montée vers Largentière fut tranquille, si ce n’est un vent de face dont je balançais s’il fallait me réjouir de la fraîcheur qu’il dispensait ou me plaindre de l’effort supplémentaire qu’il imposait. Des côtes et encore des côtes menant à une riante bourgade culminant à quatre-cents-vingt mètres. La première fois que j’y étais venu, je n’avais pas remarqué à quel point ce village est joli. Il est vrai que j’étais arrivé par Aubenas et que je ne l’avais qu’entrevu à l’issue d’une visite du camp déprimante.
    Le camps de Harkis de Largentière est à l’écart du village, dans une espèce de trou, à quelque trois-cents mètres de la mine qui lui a donné son nom. Il y a quatorze ans, j’y avais été reçu par une sorte de chef de clan qui m’avait organisé une réception entre hommes sur une des terrasses de béton qui jouxtent chacune des petites maisons basses. Il y avait à la table, autour de moi engoncé dans ma tenue de cycliste à la limite de l’indécence, un officiel militaire en tenue et un imam. Nous étions servis par une ou deux jeunes filles aux yeux baissés et au regard fuyant. J’avais quitté cette compagnie extrêmement gêné et un peu désespéré de voir que les Harkis de Largentière étaient encore sous la tutelle de l’administration et l’emprise de la religion.
    Quatorze ans plus tard, j’appréhendais de revivre cette scène. C’est pourquoi je n’avais prévenu personne. En arrivant sur le camps, à l’endroit même où j’avais été reçu, j’eus une heureuse surprise. Je me trouvais à l’entrée d’un lotissement pavillonnaire comme il en existe des dizaines de milliers à travers la France, avec ses clôtures fleuries et taillées au cordeau, ses pelouses jonchées de jouets d’enfant, des vélos en veux-tu en voilà, des grosses piscines gonflables. Le hameau était comme assommé sous la chaleur estivale. Devant les maisons, quelques voitures témoignaient de la présence de gens profitant de la fraîcheur dispensée par des volets clos.
    Je me dirigeai vers l’une des voitures, qui me semblait occupée. Au volant, une dame d’une petite quarantaine d’années, maquillée, vêtue  d’un débardeur très décolleté aux fines bretelles ; à côté d’elle, une jeune fille timidement souriante ; à l’arrière, un petit garçon au sourire mutin. Je ne voyais là aucun des signes d’aliénation religieuse que je craignais tant : pas de voile, pas de vêtement soi-disant traditionnel mais, en réalité, importé du golfe persique ou d’Afghanistan. J’entamai une courte conversation, à laquelle la dame, une fille de Harki, se prêta sans réserve et avec le sourire, sur le camp devenu lotissement. puis elle démarra et me laissa tout heureux de voir un petit coin de France là où je craignais de trouver un ghetto. Poursuivant ma visite, je tombai sur un homme d’une cinquantaine d’années en train de charger sa voiture. C’était un fils de Harki. Il se souvenait de mon passage en 1 999. Tandis que son fils allait me remplir ma gourde, il me fit un petit historique du camp. Les vieux, me dit-il, étaient tous, depuis cette date, morts. Je pensai que ce n’était pas étonnant vu les poisons qu’ils avaient dû inhaler ou avaler dans la mine, mais je gardai cette réflexion pour moi. De la cinquantaine de maisons exigües, peu confortables et quelquefois malsaines, on avait fait dix-huit pavillons avec jardins. Certaines avaient été reprises par des enfants du hameau comme lui, d’autres avaient été acquises par des gens de l’extérieur qui vivaient là à l’année ou seulement aux vacances.
    Je me dis que « Largentière » avait bien tourné. Et c’est tout heureux, et même guilleret, que je quittai le hameau sans même prendre une photo. A quoi bon ? Largentière est un petit village de France comme tous les autres, et c’est bien.
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Vendredi 9 août : Roybon (Isère)

Roybon1

Base de loisirs de Roybon.

    Arrivé vers dix-sept heures trente à Aubenas, je trouvai porte close au journal local. La journée avait été bonne mais cela n’allait pas durer. Je tournai pendant près de deux heures, faisant tous les hôtels, sans trouver la moindre chambre. Je me résolus donc à reprendre la route en espérant trouver quelques chose sur celle de Privas. Je tombai à quelques kilomètres sur un hôtel décrépit où on me proposa une chambre sans télévision ni internet. Quoique épuisé, je déclinai l’offre et repris ma route. Quelques kilomètres plus loin, voyant que je ne serais jamais à Privas avant la nuit, je m’arrêtai à la porte d’une pizzeria pour quémander un coin pour la nuit. On m’offrit de m’héberger pour 55 € dans le « gîte » d’un ami dont on avait la clé. Après une attente de près d’une heure, on m’y amena en voiture. il s’agissait en fait d’un pavillon perché dans un lotissement sur les hauteurs en face d’Aubenas. Lorsque mon hôte fut parti en me laissant m’installer, je constatai que la télévision ne marchait pas, ce dont je me fichais, et qu’internet était inaccessible car le propriétaire n’en avait pas donné le code. Résultat des courses : 15 €uros et deux heures de perdu !
    Au matin, je retournai à Aubenas pour voir la presse en vue d’un article. Mais, dans une France au ralenti où on ne travaille plus que trente-cinq heures entre lundi matin et vendredi midi, le bureau du Dauphiné libéré n’ouvre pas le samedi. Encore gagné ! Je résolus d’entamer l’étape du jour.
    C’est en arrivant sur les premières pentes du col de l’Escrinet que mon humeur commença à s’améliorer. Faisant abstraction des contrariétés accumulées depuis la veille, je profitai pleinement des quatorze kilomètres de montée à 4% de moyenne avec des pointe à 7,5% dans le cadre superbe des Monts de l’Ardèche. A la retombée du col, je fus saisi d’émotion à la vue d’un panneau indicateur, sur le côté gauche de la route : « Mont Gerbier de Jonc : N km ».  Aussitôt me vint à l’esprit cette phrase magique maintes fois déclinée à l’école primaire et dont les moins de quarante ans ne peuvent pas connaitre : « La Loire prend sa source au Mont Gerbier de Jonc ». Ainsi, c’était donc là ! Je faillis traverser sans préavis pour prendre immédiatement la direction indiquée. Heureusement, je n’en fis rien car une voiture arrivait en sens inverse. Je fis une descente formidablement excitante car, sur cette route presque lisse en pente respectable, on peut « lâcher les chevaux ».
    Tout en dévalant, je me remémorais mes années à l’école primaire Michelet, à Dreux, et pensais avec nostalgie à mes maîtres : M. Le Guillou, si gentil ; M. Forgerit, qui me gardait le soir après l’étude, en compagnie de sa fille Isabelle ; Monsieur Chauvet, instituteur en CM2 et directeur de l’école, si faussement sévère, qui, pour me punir de mettre des taches partout (il fallait bien qu’il trouve quelque chose pour que je n’apparaisse pas trop comme un chouchou !) faisait semblant de me tirer l’oreille…
    La montée vers l’Isère se passait bien. J’étais même, malgré le vent contraire, euphorique. Jusqu’à Bourg-de-Péage. Là, alors que j’étais à deux encablures de la départementale qui conduisait directement sur Roybon, une erreur d’aiguillage me fit prendre un détour plein sud. Plongé dans mes rêveries, je ne me rendis compte que bien tardivement de ma bévue. Bilan : 41 km de parcours en trop et l’obligation de faire étape à Bourg.
    Le lendemain, retour à l’optimisme. Le parcours vers Roybon fut réjouissant, avec, à quelques kilomètres du but, un joli col à monter. Arrivé au village, la gorge sèche, je me rendis immédiatement au Café des Pêcheurs. Je fus accueilli par un monôme de jeunes adultes chahutant. L’un d’eux, un grand beau mec à visage d’ado et physique de rugbyman se mit très vite à me chambrer gentiment. Puis on me demanda qui j’étais. A ma réponse, je vis son visage se métamorphoser. Son regard se fit grave et respectueux. Me tapant la main, il me dit qu’il était lui-même petit-fils de Harki et qu’il s’appelait Eddy. Alors, tout le monde se mit en quatre pour m’expliquer comment aller au camp.
    Je me rendis d’abord au camp n° 1, celui près du lac transformé depuis en petite base de loisirs. Les baraquements avaient disparu de longue date, dès avant 1999. En fait, les familles en avaient peu à peu fait quelque chose de coquet et vivable, malgré l’exiguïté de l’espace réservé aux familles. En effet, un baraquement de 140 m² était occupé par quatre familles dont certaines avaient jusqu’à six enfants. Lorsque, en 1973, les édiles locaux comprirent le parti qu’ils pourraient en tirer, ils en expulsèrent les occupants, qu’ils firent dispatcher dans des HLM construits pour eux à Roybon même et dans les communes des environs. Les récalcitrants furent menacés et les maisons achetées 6000 F de l’époque (équivalent de huit mois de smic), soit moins de 12 000 € d’aujourd’hui. Certains d’entre eux, dont le maire, en acquirent plusieurs.
    Séduit par le lieu, j’y restai près d’une heure, y déjeunant d’une saucisse-frites-bière au snack du lac. On verra plus loin que ces libertés prises avec l’horaire devaient avoir quelques conséquences notables. C’est ainsi que, lorsque j’arrivai au camp n° 2, qui avait pris toutes les apparences d’un lotissement résidentiel, je vis une voiture qui faisait des manœuvres pour le quitter. J’allai résolument vers elle et sa conductrice. Dès que je pris la parole, elle m’interrompit en me disant : « Je vous connais ! J’ai participé à la réception, en 1999. » J’étais sidéré. Je trouvai formidable que la première personne rencontrée sur ce site soit quelqu’un qui avait participé au premier Rallye des camps et qui, de surcroît, selon ce qu’elle me dit, n’y était jamais revenu depuis.
   Elle s’appelle Daouia Boudaoui. Après quelques effusions, elle me dit qu’elle était revenue là pour montrer à son cousin en visite chez elle les lieux où elle avait grandi. Puis elle me raconta des anecdotes de cette époque en insistant beaucoup sur le comportement de celle que les Harkis appelaient l’assistante sociale et qui était la directrice du camp. Cette femme, de la graine dont on fait les kapos, était tout aussi dure, malhonnête et sadique que ses homologues hommes. En effet, elle n’hésitait pas à ouvrir les colis qui arrivaient d’Algérie. Un comble ! Et, tout comme eux, elle tapait dans les allocations familiales de ses administrés, ne leur laissant que le strict nécessaire à leur survie.
   Aujourd’hui, le camp 2 comme celui de Largentière, ressemble à un lotissement  comme il en existe des centaines de milliers en France. Je repris la route heureux, et, pensant à Eddy et Daouia, je me dis que  les Harkis de Roybon ont bien tourné.


Rallye des Camps 2013 : Bourg-Lastic

Ces derniers jours ont été émaillés d’incidents qui m’ont empêché de tenir mon blog au jour le jour. Une panne technique et des obligations personnelles m’ont obligé à faire un saut à Béziers. Par ailleurs, et c’est très étonnant, une fois sur deux, je tombe sur des hôtels sans wifi. Enfin, l’accumulation de la fatigue ne me permet pas d’être opérationnel tous les soirs. J’essaierai, dans les 48 heures qui viennent, de me mettre à jour.

Stele_BL

La stèle de Bourg-Lastic, érigée en septembre 2012 à l’initiative de Taïfour Mohamed.


Parti de Villeneuve-sur-Lot le matin du dimanche 4, je parcourus deux étapes sans anicroche si ce n’est un incident mécanique qui rendit mon cheminement difficile, notamment dans les côtes. La route était belle, le paysage grandiose, comme partout dans ce Périgord noir où l’odeur de truffe (mais peut-être est-ce de l’autosuggestion ?) régnait en maîtresse, les villes et villages superbes avec leurs édifices majestueux plantés dans la roche : tout invitait au plaisir et à l’euphorie. Mais mon esprit était préoccupé par la litanie des désistements de nos « amis » PNH censés organiser les réceptions aux étapes et, aussi, par des affaires à régler côté Béziers. Au soir du lundi 5, alors que la bruine tombait sur Ussel, je fus rejoint par mon fils Nicolas que j’avais fait venir de Béziers.

C’est en voiture que nous fûmes le lendemain matin à Bourg-Lastic à la rencontre de Taïfour Mohamed, d’AJIR-Auvergne, l’initiateur et le réalisateur, avec l’aide des autorités civiles et militaires locales, de la stèle à la mémoire des Harkis du camp et du petit cimetière d’enfants. La visite commençait par ce petit cimetière aménagé dans une clairière à quelques centaines de mètres du camp lui-même. On y accède par un chemin goudronné depuis quelques années seulement. J’avais entendu parler de ce cimetière où, au fond de la clairière, sont alignées onze plaques toutes simples sur un parterre recouvert de gravier brun. Devant, l’aire est méticuleusement entretenue, par l’Armée, nous dit M Mohamed. En avant de l’alignement, une plaque porte les noms de seize enfants, dont cinq morts-nés et onze décédés entre un jour et vingt-et-un mois. Manquent quatre noms dont on nous dit que ce sont ceux d’enfants, morts à l’hôpital, dont on n’a pas les corps.
Savoir de quoi ces enfants sont morts n’est pas facile et il n’est d’aucun intérêt de se perdre en conjectures. Ce qui est certain, c’est que, faute d’accord des communes avoisinantes pour qu’elles le soient dans leurs cimetières, leurs dépouilles ont été enterrées dans cette clairière proche du camp. Je ne puis m’empêcher de penser que ceux-là ont eu de la chance, d’une certaine façon. A Saint-Maurice-l’Ardoise, le cimetière improvisé a disparu dans une exploitation maraîchère et les familles sont bien en peine de savoir où sont les restes de leurs enfants.
Cimetiere_enfantsPlaque_enfants
A Bias, j’avais été pris d’un sentiment de désolation et de quasi abattement. Ici, c’est la pitié qui m’étreint et qui, peu à peu, alors que je n’arrive pas à me dégager de ce petit bout de terre noyé dans l’immense futaie d’un camp militaire, se transforme en rage.
Mais voici qu’il faut partir, continuer la visite. C’est à quelques centaines de mètres que se trouve le camp proprement dit. Une simple clairière, là aussi, où des dizaines de tentes avaient été plantées et où vécurent 4 945 personnes entre le 24 juin et le 22 septembre 1962 avant d’être dispatchées dans d’autres camps. (Lire) C’est là que Taïfour Mohamed a creusé de ses propres mains une petite fosse pour y planter un socle de béton tout simple destiné à recevoir une stèle en pierre de deux mètres sur soixante-dix centimètres. « Pour se souvenir et ne pas oublier », dit maladroitement l’incrustation.
Pour que les Français sachent, surtout, car, comment nous, les PNH, pourrions-nous oublier ?

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