Le
document reproduit ci-dessous (Extrait du Compte rendu de la séance du 3
Septembre 2013 portant sur la Situation en Syrie (version provisoire) ) , a pour source le site du Sénat.
Nous nous limitons à reproduire ce document, la vidéo est en l'état actuel trop longue à charger.
Dans un prochain éditorial nous vous ferons part de nos réflexions sur les déclarations des intervenants.
Séance du 4 septembre 2013 (compte rendu intégral des débats : version provisoire
Séance du 4 septembre 2013 (compte rendu intégral des débats : version provisoire
Sommaire
Présidence
de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
M. Jean Desessard,
M. François Fortassin.
1
Ouverture de la
deuxième session extraordinaire de 2012-2013
8
Débat
sur la situation en Syrie
M.
le président. L'ordre du jour
appelle un débat sur la situation en Syrie.
La parole est à M. le ministre des affaires
étrangères.
(Applaudissements
sur les travées du groupe socialiste
et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M.
Laurent Fabius,
ministre des
affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames,
messieurs les sénateurs, aux premières heures du 21 août,
à quelques kilomètres du centre de Damas, près de
1 500 civils, dont des centaines d'enfants, sont morts,
asphyxiés dans leur sommeil, assassinés par le régime syrien,
dans ce qui constitue, en ce début de siècle, le plus massif et le
plus terrifiant usage de l'arme chimique.
Ces faits, chacun d'entre nous a pu les découvrir,
immédiatement après ce drame, sur des dizaines de vidéos :
des vidéos tournées par des médecins, des voisins, des parents,
à la fois terrifiés et conscients du devoir d'informer le monde sur
l'horreur de ce qui venait de se produire.
Chacun d'entre nous a pu voir les images abominables de l'agonie
des victimes, de ces cadavres d'enfants alignés. Sur ces cadavres, pas une
goutte de sang, pas une blessure ; juste la mort silencieuse par l'emploi
des gaz dont plus personne ne nie qu'ils aient été utilisés
cette nuit-là.
Au-delà de ces images terrifiantes, de quoi sommes-nous
certains ?
C'est pour en informer la représentation nationale que le
Premier ministre, les ministres de la défense et des relations avec le
Parlement et moi-même avons réuni, lundi dernier, les présidents
des deux assemblées, des commissions compétentes et des groupes
politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Le Gouvernement en est convaincu, la gravité du moment
exige transparence et dialogue républicain.
Nous sommes certains de l'ampleur du bilan, qui pourrait
atteindre jusqu'à 1 500 victimes. Des évaluations
indépendantes, comme celles de Médecins sans frontières, le
confirment.
En analysant des vidéos, que nous avons authentifiées,
nos propres services sont parvenus au constat que toutes les victimes
étaient localisées dans des quartiers contrôlés par
l'opposition. Tous les symptômes observés sont cohérents avec
une intoxication aux agents chimiques. Des éléments en notre
possession, comme en celle de nos alliés, indiquent que du gaz sarin a
été utilisé.
Nous sommes certains que la Syrie dispose de l'un des stocks
d'armes chimiques les plus importants au monde : plus de
1 000 tonnes d'agents chimiques de guerre et des dizaines de vecteurs.
Nous sommes certains que le régime syrien a déjà
employé l'arme chimique à plusieurs reprises ces derniers mois à
une échelle beaucoup plus réduite, dans le but de reconquérir
des zones tenues par l'opposition et d'y semer la terreur. Nous avons
récupéré et analysé des échantillons qui ont
confirmé l'emploi de gaz toxiques à Saraqeb ou à Jobar. Ces
éléments ont été transmis aux Nations unies.
Nous sommes certains que cette attaque s'inscrivait dans le
cadre d'une offensive pour la reconquête d'une zone clé qui commande
l'accès à Damas. Elle avait fait l'objet de préparatifs dans les
jours précédents, incluant des mouvements d'agents chimiques depuis
les principaux points de stockage du régime. Après l'attaque, nous
sommes aussi certains que des bombardements intenses ont tenté d'en
effacer les traces.
Nous sommes certains, enfin, que l'opposition n'a pas les
capacités de conduire une opération d'une telle ampleur. Aucun groupe
appartenant à l'insurrection ne dispose des quantités d'agents
chimiques, des vecteurs ou des compétences nécessaires pour mener
à bien une telle attaque.
C'est donc une certitude : il y a bien eu une attaque
chimique massive le 21 août dans la plaine de la Ghouta. Le
régime syrien en porte l'entière responsabilité.
Cette certitude, nous la partageons avec nos partenaires
américains, britanniques, allemands, turcs. La Ligue arabe l'a
elle-même confirmé à l'occasion de sa réunion
ministérielle de dimanche dernier, en évoquant la responsabilité
du régime.
La recherche de cette responsabilité n'entre pas dans la
mission des enquêteurs des Nations unies. Ces enquêteurs ne pourront
donc que confirmer l'usage de l'arme chimique.
Face à ces faits incontestables, que choisir :
l'action ou la résignation ? Pouvons-nous nous contenter de
condamner, d'en appeler à un sursaut de la communauté internationale
pour qu'enfin s'ouvrent des négociations de paix qui ne viennent pas ?
À ces questions, mesdames, messieurs les sénateurs, le
Président de la République a apporté une réponse claire et
conforme à la mobilisation de la France depuis le début de la crise
syrienne.
Nous avons été les premiers à reconnaître la
coalition nationale syrienne, à lui apporter notre appui, à
répondre à l'urgence humanitaire, à promouvoir une solution
politique. Sans relâche, nous avons aussi multiplié les contacts pour
chercher des solutions à cette tragédie avec nos partenaires
européens, nos alliés, les pays de la région, la Russie et la
Chine.
Ne pas réagir, ce serait tolérer que demeure impuni un
recours massif à l'arme chimique.
Ne pas réagir, ce serait adresser à M. Bachar
Al-Assad et au peuple syrien un message terrible : l'arme chimique peut
être utilisée demain à nouveau contre Damas, contre Alep, de
façon peut-être encore plus massive.
Ne pas réagir, ce serait mettre en danger la paix et la
sécurité de la région tout entière, mais aussi,
au-delà, notre propre sécurité. En effet, il faut poser la
question : quelle crédibilité auraient ensuite nos engagements
internationaux contre la prolifération des armes de destruction massive, y
compris l'arme nucléaire ? Quel message enverrions-nous à
d'autres régimes – je pense à l'Iran ou à la
Corée du Nord ?
Ce message serait malheureusement très clair : vous
pouvez continuer ; la possession de ces armes vous confère
l'impunité ; la division de la communauté internationale vous
protège.
Ne pas réagir, ce serait enfin fermer la porte à un
règlement politique du conflit syrien. Oui, la solution à la crise
syrienne sera politique et non militaire. Mais regardons la réalité
en face : si nous ne mettons pas un coup d'arrêt à de tels
agissements du régime, il n'y aura pas de solution politique. Car quel
serait l'intérêt pour M. Bachar Al-Assad de négocier, tant
qu'il croit qu'il peut, comme il l'a encore répété, par
écrit, au début de la semaine, « liquider »
– c'est son propre terme – son opposition, notamment au
moyen d'armes qui sèment la terreur et la mort ?
Pour toutes ces raisons, le Président de la République
française a fait le choix de l'action ; le choix d'une action
légitime, collective et réfléchie.
L'action est d'abord légitime, car le régime syrien a
massivement violé ses obligations internationales. En employant l'arme
chimique, M. Bachar Al-Assad a violé ses obligations au titre du
protocole de 1925 qui en prohibe l'usage et que la Syrie a ratifié en
1968. Il a bafoué le droit international humanitaire en menant des
attaques indiscriminées, interdites par les conventions de Genève. Il
s'est rendu coupable d'un crime de guerre. Il a commis ce que le
Secrétaire général des Nations unies a qualifié de
« crime contre l'humanité ».
En plus de ces violations, le régime syrien a refusé
constamment de coopérer avec la communauté internationale : en
empêchant l'accès de la commission d'enquête internationale sur
les droits de l'homme ; en s'opposant, pendant cinq mois, à la
présence des inspecteurs sur les armes chimiques ; en écartant
les différentes tentatives de cessez-le-feu ; en multipliant les
obstacles à l'action humanitaire en Syrie.
Bien sûr, une autorisation explicite du Conseil de
sécurité serait souhaitable. Mais, là aussi, regardons la
réalité en face. Depuis deux ans et demi, la Russie et la Chine ont
bloqué toute réponse à la tragédie syrienne, y compris en
opposant à trois reprises leur veto. Notre tentative, il y a une semaine,
d'un projet de résolution autorisant une riposte ferme à l'attaque
chimique du 21 août a elle aussi été stoppée net.
La gravité de la menace associée à l'emploi de
l'arme chimique nous oblige à agir.
L'action que nous envisageons est réfléchie et
collective. Le Président de la République l'a indiqué, elle
devra être « ferme et proportionnée ».
Ponctuelle, elle devra viser des objectifs significatifs, mais ciblés. Il
n'est pas question d'envoyer des troupes au sol. Il n'est pas question
d'engager des opérations militaires pour renverser le régime.
Bien entendu, nous souhaitons le départ de M. Bachar
Al-Assad, qui n'hésite pas à menacer directement notre pays et qui
croit même pouvoir intimider la représentation nationale. Oui, nous
souhaitons son départ, dans le cadre d'une solution politique en faveur de
laquelle la France continuera à prendre l'initiative.
Notre message est clair : l'emploi d'armes chimiques est
inacceptable. Nous voulons à la fois sanctionner et dissuader,
répondre à cette atrocité pour éviter qu'elle ne se
reproduise. Nous voulons aussi montrer à M. Bachar Al-Assad qu'il n'a
pas d'autre solution que la négociation.
Certains nous disent qu'une réaction compliquerait encore
la situation. Mais, là aussi, j'en appelle à votre lucidité. La
déstabilisation des pays de la région, qui font face à l'afflux
de plus de deux millions de réfugiés, est une réalité.
L'inaction face aux souffrances du peuple syrien fait le lit des
extrémistes. Ne pas laisser impunis les crimes du régime syrien,
c'est au contraire le moyen pour nos démocraties de conforter, comme il le
faut, l'opposition syrienne modérée.
C'est ainsi que nous serons fidèles à nos valeurs, sur
lesquelles se fonde l'engagement de la France dans le monde. La France a en
effet une responsabilité particulière. C'est une chance et une
exigence, qui contribuent à la grandeur de notre pays. Soyons unis pour
rester fidèles à cette vocation.
La France n'agira pas seule. Elle joindra ses efforts à
ceux d'autres partenaires, à commencer par les États-Unis
d'Amérique avec lesquels elle s'est toujours retrouvée dans les
moments critiques quand la cause était juste. Nous comptons également
sur le soutien des Européens et des pays de la région, notamment au
sein de la Ligue arabe. Le Président de la République poursuit son
travail de conviction afin de réunir la coalition de soutiens la plus
large possible. La réunion du G20 à Saint-Pétersbourg,
à partir de demain, en sera l'occasion.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, l'année prochaine, nous commémorerons le centenaire
du début de la Première Guerre mondiale, qui a été
marquée par la première utilisation massive de gaz toxiques comme
arme de combat. Un siècle plus tard, alors que les armes chimiques ont
été bannies par le droit international, nous ne pouvons accepter un
épouvantable retour en arrière.
Dans ces circonstances graves, il importe que la
représentation nationale soit éclairée. C'est pourquoi nous nous
engageons à continuer à vous informer dans les jours prochains sur
l'évolution de la situation, dans le respect des équilibres
institutionnels découlant de notre Constitution. En toute hypothèse,
la décision ultime ne pourra être prise par le Président de la
République que lorsque sera constituée la coalition, seule à
même de créer les conditions d'une action.
Mesdames, messieurs les sénateurs, face à la barbarie,
la passivité n'est pas une option. En tout cas pas pour la France. Ne pas
réagir, c'est laisser M. Bachar Al-Assad poursuivre ses
atrocités, encourager la prolifération et l'emploi d'armes de
destruction massive, abandonner la Syrie et la région tout entière au
chaos et céder aux menaces. Avec ses partenaires, la France prendra donc
ses responsabilités.
(Applaudissements
sur les travées du groupe socialiste
et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE
et de l'UMP.)
M.
Jean-Michel Baylet. Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Histoire
connaît un de ces moments de fièvre où le temps
s'accélère. Nous ne sommes pas réunis aujourd'hui, en session
extraordinaire, pour seulement débattre de notre implication dans une
guerre civile. Ce qui se joue actuellement touche à la stabilité
d'une région entière, aux grands équilibres géopolitiques
mondiaux, et aussi à la sécurité de notre pays et de nos
concitoyens.
Depuis plusieurs mois la machine médiatique et politique
s'emballe. Les polémiques fleurissent, parfois sur le fond, souvent sur la
forme. La question d'un vote à l'issue de ce débat a suscité une
vaste controverse, que j'ai un peu de mal à entendre tant la Constitution
est claire à ce sujet. Son article 35 prévoit en effet que
« le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire
intervenir les forces armées à l'étranger » et que
« cette information peut donner lieu à un débat qui n'est
suivi d'aucun vote ».
Je rappelle d'ailleurs, peut-être plus
particulièrement à l'intention des membres de l'opposition
(Protestations sur les travées de
l'UMP.) …
M.
Jean-Michel Baylet. Avant de
protester, laissez-moi aller au bout de mes propos !
Je rappelle que cette disposition existe depuis la
révision constitutionnelle de 2008. C'est incontestable ! J'ai
d'ailleurs voté cette révision constitutionnelle.
M.
Jean-Michel Baylet. Je rappelle
également qu'une procédure identique a été suivie lors de
l'engagement de nos forces en Libye.
La représentation nationale se réunit donc
normalement aujourd'hui, car la situation dramatique en Syrie a franchi, ces
dernières semaines, les limites de l'horreur. Depuis le déclenchement
des premières manifestations contre le régime, le cap des
110 000 morts est dépassé, tout comme celui des deux
millions de réfugiés. Par ailleurs, l'usage d'armes
chimiques, pourtant prohibé par les accords internationaux, est
avéré, et M. le ministre des affaires étrangères vient
de nous le confirmer. Et il ne fait guère de doute que cet usage soit le
fait du régime lui-même.
Bien sûr, l'effroi né de ces massacres ne doit pas
occulter la complexité de ce conflit ni les conséquences de notre
éventuelle intervention. Autour du drame syrien s'enchevêtrent en
effet les grands enjeux du Proche-Orient et du Moyen-Orient : tensions
confessionnelles entre chiites et sunnites, rivalité pour le leadership
régional entre les puissances voisines – Turquie, pays du
Golfe, Iran – et quête d'influence de la Russie.
Cette prise de conscience indispensable ne doit cependant pas
servir d'alibi à un renoncement. C'est la raison pour laquelle le
Président de la République a eu raison, lors de son allocution devant
la conférence des ambassadeurs, de signifier au dictateur syrien qu'il ne
pouvait plus gazer son peuple en toute impunité.
L'inaction, face à ce qui constitue une provocation de la
part du régime syrien, serait un signal dramatique envoyé au monde.
À long terme, elle serait dangereuse, manifestant une impuissance, et
signifierait la perte définitive de l'influence occidentale sur la
scène internationale.
Par cette intervention, il ne s'agit pas de soutenir une
rébellion dont nous connaissons l'hétérogénéité
et les problématiques, ainsi que l'extrémisme de certaines de ses
composantes. Il s'agit d'adresser un double message : l'un directement
à Bachar Al-Assad, lui intimant que ses manquements aux conventions
internationales en matière d'utilisation d'armes chimiques ne seront plus
tolérés ; l'autre à ses alliés, la Russie, l'Iran,
mais aussi le Hezbollah, qui aident militairement et de manière directe le
régime syrien. Il s'agit en particulier de montrer au nouveau
président iranien, M. Rohani, notre détermination s'agissant de
l'usage d'armes chimiques et notre fermeté quant à l'évolution
du programme nucléaire iranien.
Si l'on se place du côté des valeurs, ne pas
intervenir serait indigne. Si l'on raisonne en matière de rapport de
forces, en regardant les intérêts de la France, ne pas intervenir
serait une faute.
Je sais que d'aucuns opposent intervention armée et
solution politique. Je pense au contraire que des frappes ciblées, qui
– le Président de la République l'a
répété – n'ont pas vocation à renverser le
régime – encore que, pour ma part, je ne serais pas malheureux de
voir chuter Bachar Al-Assad –, …
MM.
Jean-Claude Gaudin et Roger
Karoutchi.
Pour le remplacer par qui ?
M.
Jean-Michel Baylet. …
permettraient de dépasser certains obstacles empêchant aujourd'hui le
règlement politique du conflit.
À ce jour, sur le plan diplomatique, nous ne pouvons que
constater le blocage institutionnel aux Nations unies. Entre les mesures
dilatoires du gouvernement Al-Assad, le rejet, du fait des vetos russes et
chinois, des projets de résolution présentés au Conseil de
sécurité, et les nombreux reports de la conférence dite
« Genève 2 », la Syrie et ses alliés
entretiennent volontairement l'impasse.
Certains pointent aussi du doigt la menace d'un embrasement de
la région. À ceux-là, on peut objecter que le conflit syrien
s'est déjà internationalisé et a largement dépassé les
frontières de la Syrie : il affecte le Liban surtout,
déstabilisé par une série d'attentats et l'afflux de
réfugiés, mais aussi la Turquie, l'Irak et la Jordanie.
Une intervention ciblée en Syrie à laquelle
participerait la France devra bien sûr s'accompagner d'un renforcement de
la sécurité de nos ressortissants civils et militaires dans la
région ; je pense notamment aux militaires déployés au
Liban dans le cadre de la force intérimaire des Nations unies au Liban, la
FINUL.
Mes chers collègues, si une riposte s'impose, des
questions subsistent, c'est vrai, quant à ses modalités.
Lundi dernier, le Premier ministre a évoqué
« une action ferme et proportionnée ». Nous y
souscrivons.
Mais la question du calendrier de l'intervention se pose. Nous
le constatons, ce calendrier évolue constamment. Il est désormais
évident – et cela vient de nous être
rappelé – que rien ne se fera avant le vote du Congrès
américain, qui interviendra le 9 septembre. De plus, dans les
prochaines semaines, les observateurs des Nations unies rendront leur rapport
sur l'utilisation d'armes chimiques.
Bien sûr, l'hypothèse d'une action isolée de la
France est écartée. Le temps dont nous disposons doit donc être
mis à profit pour convaincre et élargir les contours d'une coalition.
Dans cette optique, le G20 de demain et vendredi à
Saint-Pétersbourg sera crucial. Des réunions entre pays
européens auront lieu en marge de ce sommet. Il faudra aussi, à cette
occasion, parler avec la Russie, sans laquelle, nous le savons, une solution
politique sera difficile à trouver.
Mesurant l'inquiétude de nos compatriotes, le
Président de la République a également prévu de s'adresser
aux Français en temps utile.
Enfin, monsieur le ministre, nous souhaitons que le Parlement
soit pleinement associé, dans les prochains jours et les prochaines
semaines, à la gestion de cette crise.
Mes chers collègues, la France doit délivrer un
message fort, non seulement en raison des valeurs qu'elle porte, mais aussi au
nom de nos relations anciennes avec la Syrie, qui ont été
forgées par l'histoire.
Parce que nous sommes conscients des enjeux qui sous-tendent la
situation actuelle, nous souhaitons assurer le Président de la
République de notre soutien à sa démarche. Ce faisant, nous
renforcerons et amplifierons la voix de la France.
(Applaudissements
sur certaines travées du RDSE,
ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe
écologiste.)
M.
le président. La parole est
à M. André Gattolin.
M.
André Gattolin. Monsieur le
président, monsieur le ministre des affaires étrangères,
mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, jamais, depuis le
début de notre mandature, le Sénat n'a eu à débattre d'un
sujet aussi grave. C'est donc avec une extrême gravité, avec
sérieux et sincérité, qu'il convient de nous exprimer.
En réalité, la question de savoir s'il faut ou non
intervenir relève à mes yeux d'un faux débat. Prisonniers à
la fois de l'urgence et du pourrissement du conflit, nous devons plutôt
nous attacher à définir la réaction la plus appropriée
possible, ce qui exige que soient précisément établis tout
à la fois le cadre de cette réaction, les mesures qui la composent et
celles qui devront permettre d'en assurer le suivi.
À mon sens, il y a à ce sujet un large consensus
entre nous, sachant que nous avons tous également à l'esprit le fait
qu'une mauvaise intervention est parfois tout aussi néfaste, sinon plus,
qu'une non-intervention.
Il est évidemment hors de question, pour la France, de
s'engager seule, et il ne s'agit pas non plus de donner un blanc-seing à
une coalition dont nous ne connaîtrions ni les contours précis, ni
les objectifs, ni les prolongements politiques.
Il paraît donc essentiel de mettre à profit les jours
qui viennent, la réunion du G20, celle des ministres des affaires
étrangères de l'Union européenne et la réflexion qui
s'engage entre nos collègues parlementaires américains pour mettre
tout cela au clair.
Aujourd'hui 4 septembre 2013, nous en sommes à plus
de 100 000 morts et à 6 millions de personnes
déplacées, dont 2 millions ont quitté la Syrie et se
trouvent dans des camps situés dans les pays limitrophes, notamment dans
les zones les plus pauvres de la Turquie et de la Jordanie, où elles
vivent dans des conditions abominables. Sur ces 2 millions de personnes,
plus de la moitié sont des enfants. L'Organisation des Nations unies est
formelle : cette situation est absolument inédite.
Nous constatons un degré de violence, notamment envers les
plus faibles, jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale. C'est là un
fait indéniable, comme l'usage des armes chimiques, que personne ne nie,
même si, aux yeux de certains, les responsabilités ne sont pas assez
clairement établies.
Nous étudierons évidemment avec la plus grande
attention les résultats de l'inspection conduite par les Nations unies,
mais cette dernière n'a de toute façon pas vocation à
révéler publiquement l'origine de ces armes chimiques.
M.
Alain Richard. Exactement !
M.
André Gattolin. Cependant, les
éléments d'ores et déjà réunis par plusieurs
gouvernements, mais aussi par les organisations humanitaires et plusieurs
grands médias, notamment Le Monde et la BBC, vont tous dans le
même sens : d'une part, ces armes ont bel et bien été
utilisées ; d'autre part, le régime de Damas est
a priori le seul à être en mesure de mener des attaques
comme celle du 21 août dernier, dans les faubourgs de la capitale,
où se concentre une partie des opposants démocrates à Bachar
Al-Assad.
Les déclarations récentes, proprement
surréelles, de M. Bachar Al-Assad à un quotidien français
ne laissent guère de doutes quant à sa détermination
meurtrière et à ce qu'il serait capable de faire en l'absence de
réaction internationale.
Disons-le clairement : si nous persistons à ne rien
faire face à la nouvelle montée en horreur du conflit, nous
entérinons de fait la dépénalisation de l'usage des armes
chimiques, que le régime syrien conçoit manifestement comme une arme
conventionnelle, puisqu'il les a utilisées à plusieurs reprises,
alors que leur prohibition constitue un pilier du droit international et
humanitaire depuis la fin de la Première Guerre mondiale et la signature
du Protocole de Genève, en 1925.
Si nous ne faisons rien, nous courons le risque de voir
anéanties les composantes démocratiques de la
rébellion –celles précisément qui ont été
visées par le bombardement du 21 août –, ce qui
laisserait alors la place à un face-à-face entre Bachar Al-Assad,
appuyé par ses alliés iraniens et ceux du Hezbollah, et les
composantes résolument anti-démocratiques de la rébellion.
Si nous ne faisons rien, nous courons le risque de voir l'ONU
encore plus affaiblie qu'elle ne l'est déjà. Certains de nos
collègues, sceptiques quant à l'opportunité d'une intervention
internationale, considèrent qu'une telle action porterait un coup fatal
à l'influence de l'ONU.
En réalité, c'est plutôt l'inaction qui
constituerait le plus grand risque sur ce plan, car elle consacrerait le
pouvoir de nuisance de pays tels que la Russie, qui abuse en permanence de son
droit de veto au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. En
empêchant depuis deux ans tout règlement politique du conflit, c'est
bien ce pays qui a rendu possible la perpétuation des atrocités
commises par le régime syrien.
Le débat que nous menons aujourd'hui ne s'achèvera
pas par un vote, ce qui est après tout logique à ce stade, puisque
beaucoup de paramètres peuvent encore changer. C'est la semaine prochaine
que nous pourrons et devrons voter – les écologistes le
demandent instamment –, une fois que ces paramètres auront
été précisés.
À cet égard, je poursuivrai mon propos en
évoquant trois points qu'il faudra impérativement approfondir avant
une convocation ultérieure du Parlement.
Le Congrès américain devrait voter le
9 septembre prochain sur la participation des États-Unis à une
intervention aérienne, ciblée et circonstanciée, participation
à défaut de laquelle une action militaire française serait
évidemment remise en question. Mais, quelle que soit la décision
finale de nos alliés, il convient de mobiliser la communauté
internationale sur ce dossier comme elle ne l'a jamais été
jusque-là. À l'heure actuelle, plusieurs membres importants de la
Ligue arabe, mais également la Turquie et le Japon, ont fait
connaître leur soutien à une éventuelle opération, sans que
l'on sache, pour le moment, comment ce soutien pourrait se traduire
concrètement.
Mais il faut aller encore plus loin ! De grands pays
émergents comme le Brésil doivent être approchés, pour voir
dans quelle mesure leur position pourrait évoluer, compte tenu des
derniers développements en cours. L'Union européenne doit se
mobiliser en tant que telle et sortir de sa coupable torpeur.
Je mentionnai à l'instant les limites du Conseil de
sécurité de l'ONU, mais il est frappant de constater que
l'Assemblée générale de celle-ci, qu'aucun veto ne peut
paralyser, reste elle aussi absente de ces débats. La France et ses
partenaires doivent demander sa convocation en urgence afin de rappeler avec
force l'interdiction du recours aux armes chimiques et de réclamer une
enquête de la Cour pénale internationale sur les derniers
bombardements. L'adoption probable d'une telle déclaration conforterait la
volonté du Gouvernement d'intervenir. Un tel vote n'aurait certes pas le
même poids qu'une résolution du Conseil de sécurité, mais
il permettrait néanmoins de sortir quelque peu de l'insupportable
situation de blocage qui affecte l'ONU depuis le début de ce conflit.
Il faut bien rappeler que les composantes démocratiques de
l'opposition syrienne, en particulier l'Armée syrienne libre,
réclament aujourd'hui une intervention de la communauté
internationale. Ce n'était pas le cas voilà deux ans, car elles
craignaient alors que le régime de Bachar Al-Assad n'instrumentalise
à son profit une intervention extérieure. Aujourd'hui, cette partie
de l'opposition réclame une telle intervention, et il est frappant de
constater qu'elle est encore largement sous-équipée par rapport aux
autres acteurs du conflit, en dépit des promesses de livraisons d'armes
qui lui ont été faites. Qu'attendons-nous pour la renforcer et pour
traiter véritablement les représentants de cette opposition
démocratique comme des interlocuteurs pleinement légitimes ?
À mon sens, c'est là une nécessité absolue si nous voulons
que l'état des forces en présence puisse véritablement
évoluer.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres,
mes chers collègues, la rébellion syrienne a débuté en
réaction au sort qui avait été réservé à des
enfants de moins de 15 ans ayant un peu naïvement repris un slogan
des révolutions arabes : « le peuple veut la chute du
régime ». Cela leur valut d'être arrêtés et
torturés… Deux ans plus tard, ce sont toujours les enfants qui sont
les premières victimes de cette guerre ignoble. Leur mise en
sécurité, ainsi que celle des millions de personnes
déplacées, doit être désormais notre priorité, y
compris d'ailleurs en dehors du théâtre d'opérations proprement
dit.
Comment la France compte-t-elle participer aux efforts
internationaux visant à accueillir les réfugiés syriens ?
Le Gouvernement reviendra-t-il rapidement sur sa décision de janvier
dernier de contraindre les ressortissants syriens se rendant par exemple aux
États-Unis ou au Canada à demander des visas de transit
aéroportuaire pour la moindre escale dans les zones d'attente de nos
aéroports, ce qui a pour conséquence évidente de gêner la
fuite de personnes déjà terriblement éprouvées ? Bien
sûr, il s'agit là de mesures modestes au regard de celles que nous
avons évoquées précédemment, mais une telle mise en
cohérence avec les principes humanitaires les plus élémentaires
me semble plus que nécessaire, alors même que la population syrienne
paie le prix non seulement de la folie de son dictateur et de ses soutiens,
mais aussi des erreurs commises par celles et ceux qui se disent à ses
côtés.
Le groupe écologiste du Sénat salue la volonté
du Président de la République de sortir de la terrible inaction
internationale qui a jusqu'à présent prévalu à l'égard
du drame syrien. Nous demandons aujourd'hui au Gouvernement de mettre à
profit le court délai qui a été octroyé par les
circonstances pour préciser les modalités de l'action de la France,
élaborer d'éventuelles alternatives à une intervention
aérienne, en complément ou en substitution à celle-ci si nos
alliés venaient à y renoncer, et s'investir plus que jamais dans la
préparation d'une conférence Genève 2, visant à
réunir l'ensemble des parties prenantes pour ouvrir la voie à une
transition que nous appelons toutes et tous de nos vœux.
(Applaudissements
sur les travées du groupe
écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M.
le président. La parole est
à M. Philippe Adnot.
M.
Philippe Adnot. Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le
Président de la République nous invite à débattre d'une
éventuelle intervention en Syrie. En cet instant, je voudrais exprimer non
seulement mon intime conviction, mais aussi un sentiment très largement
majoritaire parmi nos concitoyens.
Faut-il voter, au terme de ce débat ? Le texte actuel
de la Constitution est sage, car il préserve notre capacité
d'initiative, sans interdire un vote en fonction des situations. Aujourd'hui,
me semble-t-il, il n'y a pas d'effet de surprise à rechercher et le
répit américain montre qu'il n'y a pas d'urgence. Aussi serait-il
dommage de ne pas pratiquer cet exercice démocratique.
M.
Philippe Marini. Très bien !
M.
Philippe Adnot. Faut-il
intervenir ? Je ne le pense pas : ce conflit est un conflit interne
à la Syrie, qui met en jeu des options politiques, ethniques et
religieuses. Sommes-nous certains que ceux qui souhaitent substituer leur
pouvoir à celui de Bachar Al-Assad seront plus démocrates et plus
respectueux de la vie d'autrui ? Des exemples récents suggèrent
le contraire.
Quel serait le fondement de notre action ? J'ai
été très heureux de la position de Jacques Chirac lorsque la
question d'une intervention en Irak s'est posée. Je n'ai pas approuvé
l'intervention en Libye…
M.
David
Assouline.
Et au Mali ?
M.
Philippe Adnot. … et nous
avons bien vu les conséquences de cette déstabilisation
régionale, qui a rendu ensuite nécessaire une intervention au Mali.
Faut-il que la France soit le seul gendarme du monde ? La
France aurait-elle dû intervenir lors de guerres internes, comme en
Tchétchénie ou au Tibet, ou bien ne doit-elle frapper que les petits
pays ?
Pour autant, faut-il ne rien faire ?
L'heure est à l'action collective. Oui, il faut
désapprouver les actes d'horreur, qu'ils soient d'ailleurs
perpétrés au moyen de gaz ou de bombes ! À mes yeux, les
350 ou 1 000 morts par gazage ne sont pas plus importantes que les
100 000 qui les ont précédées.
Je pense qu'il nous faut rassembler sur une même ligne un
maximum de pays, placer la Ligue arabe devant ses responsabilités,
annoncer l'engagement d'une action internationale en vue de faire condamner
Bachar Al-Assad pour crime contre l'humanité. La mise en place d'un
couloir humanitaire me semblerait également une bonne chose.
Oui, il faut agir, mais certainement pas en frappant et en
causant de nouvelles morts, et sûrement pas seuls ! Le moment est
venu pour l'Europe, me semble-t-il, de définir une ligne commune, et, pour
la France, d'y participer pleinement.
(Applaudissements
sur les travées de l'UMP et de
l'UDI-UC.)
M. Philippe
Marini. Très bien !
M. le
président.
La parole est à
M. Jean-Pierre Raffarin.
(Applaudissements
sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre
Raffarin. Monsieur le président,
monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les
ministres, chers collègues, la tragédie syrienne fait éclater
aux yeux du monde l'extrême folie dictatoriale, la cruelle permanence des
guerres de religion et l'inquiétante impuissance des démocraties.
L'impuissance, notre impuissance, tel est le sujet
d'aujourd'hui. Fidèles aux grands principes de la
Ve République, nous savons bien que ce débat n'est
pas requis par notre Constitution, mais il est cependant indispensable. La
question d'une intervention armée en Syrie divise nos alliés, mais
aussi notre pays, et la clarification la plus convaincante eût
été de procéder à un vote.
(Applaudissements
sur les travées de l'UMP.)
Nos amis Américains prenant le temps de la démocratie
au Congrès, il n'est pas possible d'invoquer l'urgence pour priver notre
Parlement de son expression la plus responsable : le vote. Nous regrettons
donc que ce débat ne débouche pas sur la conclusion que nous
espérions. Britanniques et Américains nous devancent à nouveau
dans la pratique démocratique. Nous sommes dans cette situation curieuse
et quelque peu humiliante où l'engagement militaire de la France
dépend non pas de notre vote, mais de celui de nos collègues
américains !
(Applaudissements
sur les travées de l'UMP et sur
certaines travées de
l'UDI-UC.)
La première condition de l'utilité de notre
débat, c'est de hausser notre réflexion au-delà des
traditionnels clivages partisans. La diplomatie est plus forte dans
l'unité. (Exclamations ironiques sur
les travées du groupe socialiste.)
La complexité du sujet, le poids de vos décisions
nous obligent à prendre de la hauteur. Nous avons su montrer l'esprit
responsable de notre opposition, notamment sur le dossier malien. La diplomatie
française, monsieur le ministre, sait pouvoir compter sur notre soutien
dans les situations les plus graves.
Pour cette raison, on ne peut accepter que l'hostilité de
l'opinion publique française à l'égard d'une frappe militaire en
Syrie ait pu être qualifiée de « munichoise » par
un responsable du parti socialiste.
(Très bien ! et
applaudissements sur les
travées de l'UMP et sur de
nombreuses
travées de l'UDI-UC.)
La démocratie, c'est aussi le respect de l'autre, et non sa
disqualification par des comparaisons historiques absurdes, injurieuses et
blessantes !
En Europe, la France est aujourd'hui le seul pays à se
tenir sur la ligne qu'elle a annoncée imprudemment.
Le parlement britannique a rejeté la motion
présentée par David Cameron, malgré toutes les précautions
de langage qu'il a pu employer en exprimant sa position. L'Allemagne a fait
savoir qu'elle n'envisageait pas de participer à une action militaire en
Syrie,…
M. Jean-Marc
Todeschini. Comment ferait-elle ?
M. Jean-Pierre
Raffarin. … l'Italie et
l'Espagne, pour ne citer que ces pays, ont aussi exprimé leurs
réserves quant à une action décidée en dehors du Conseil de
sécurité. La Ligue arabe est elle-même profondément
divisée…
M. Jean-Marc
Todeschini. Comme vous !
M. Jean-Pierre
Raffarin. … entre ceux qui
veulent la chute du régime de Bachar Al-Assad et voient dans
l'intervention militaire un moyen d'y parvenir et d'autres qui craignent des
répercussions pour l'ensemble de la région et redoutent que les
islamistes accèdent, comme ailleurs, au pouvoir.
L'envoyé conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe,
M. Lakhdar Brahimi, a fait savoir que le feu vert du Conseil de
sécurité était nécessaire.
Le Brésil, qui est une grande démocratie, a
évoqué la violation du droit international que constituerait une
telle action, si elle était engagée sans l'aval du Conseil de
sécurité.
J'arrêterai là mon énumération, sans
évoquer les positions de la Russie et de la Chine, qui sont connues de
longue date.
Un tel isolement de la France, fait nouveau, est pour nous tous
source d'une légitime et profonde inquiétude.
Bien sûr, la position de la France ne peut résulter
mécaniquement de l'attitude adoptée par ses partenaires, aussi
proches soient-ils, que ce soit dans le sens de l'intervention armée ou
dans le sens contraire. Il s'agit toutefois d'un élément à
prendre en considération, mais comme les positions de nos alliés sont
différentes, contradictoires, c'est à la France, au Président de
la République, « l'homme en charge de l'essentiel »,
selon l'expression du général de Gaulle, qu'il revient d'arrêter
la position la plus favorable aux intérêts de la France et à la
recherche de la solution la plus propice à la restauration de la paix et
au respect de la légalité internationale. Le moment venu, le
Président de la République devra expliquer à la nation sa vision
de l'avenir sur ce tragique dossier.
M. Gérard
Larcher. Absolument !
M. Jean-Pierre
Raffarin. Il est clair – on
ne peut avoir aucun doute sur ce point – que le recours à
l'arme chimique est fermement condamnable. Il est clair, également, que
l'on ne peut laisser passer sans réagir l'utilisation d'une arme proscrite
par le droit international. Cette violence est extrême, elle révolte
nos consciences.
En effet, la France, membre du Conseil de sécurité de
l'Organisation des Nations unies, doit se sentir garante des traités
internationaux. Elle ne peut donc rester les bras croisés face à leur
violation manifeste.
Faut-il pour autant choisir la voie des frappes militaires pour
« punir » celui qui est accusé d'avoir utilisé
l'arme chimique contre sa population ? Le précédent irakien, que
j'ai vécu en direct à Matignon, nous enseigne que la prudence et la
vérification sont nécessaires.
Il est donc avisé de constater, quoique tardivement, que
le rapport en cours d'élaboration des inspecteurs des Nations unies
constituera l'un des éléments qui permettront d'attribuer
internationalement les responsabilités, sans que la suspicion affecte la
crédibilité de déclarations dont on sait bien qu'elles peuvent
faire l'objet de manipulations.
L'histoire salue déjà la clairvoyance de Jacques
Chirac, qui, en 2003, a protégé la France de
l'« erreur irakienne », servant ainsi notre honneur
international. (Applaudissements
sur les travées de l'UMP et sur
certaines travées de
l'UDI-UC.)
Attendons donc le rapport des Nations unies et le débat
qui s'ensuivra pour fixer et énoncer la position de la France !
Celle-ci devrait tenir compte de la dimension juridique, du droit
international, ainsi que de l'efficacité des mesures qui seront prises et
de leurs conséquences sur la situation politique en Syrie comme dans toute
la région et au-delà.
Avant d'aborder la question de l'efficacité politique des
décisions qui pourraient être prises si les faits sont établis
grâce au travail des inspecteurs des Nations unies, je voudrais poser
celle de la légalité internationale d'une frappe militaire.
La France a toujours eu à cœur de renforcer le poids,
la légitimité et le bon fonctionnement des Nations unies. Membre du
Conseil de sécurité, elle assume en effet des responsabilités
éminentes. Que ce soit en Irak, avec Jacques Chirac, ou en Lybie, avec
Nicolas Sarkozy, elle a tenu à ce que les procédures onusiennes
soient toujours respectées. Il y va évidemment de l'image des Nations
unies dans le système international, comme de l'équilibre d'un monde
qui, même s'il est multipolaire ou le devient, a besoin
d'éléments d'équilibre et d'une représentation universelle.
J'ai lu et j'ai entendu dire tout à l'heure que certains
veulent faire de la Syrie le dossier central de la réunion du G20 de
Saint-Pétersbourg : c'est ne pas tenir compte du fait que le G20
ne peut se prononcer légitimement que sur les questions économiques.
En outre, court-circuiter l'ONU n'est pas dans l'intérêt de la
France, qui tire une puissante influence de sa qualité de membre permanent
du Conseil de sécurité.
(Applaudissements
sur les travées de l'UMP et de
l'UDI-UC.
–M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)
Quel mauvais exemple nous donnerions en nous affranchissant des
Nations unies dès lors qu'elles gêneraient notre liberté
d'action ! Les conditions posées par le chapitre VII de la
Charte des Nations unies ne peuvent être réunies : en effet,
nous ne sommes pas dans le cas d'une menace contre la paix, prévu à
l'article 39, ou en état de légitime défense, comme
visé à l'article 51.
La tragédie syrienne dure depuis plus de deux ans, elle a
fait plus de 100 000 morts par armes conventionnelles. Malgré
cela, le Conseil de sécurité est toujours divisé et sa
décision est dépendante d'un veto d'un membre permanent.
Invoquer la « responsabilité de
protéger » les populations constitue certes une voie de recours,
mais, là non plus, on ne peut s'affranchir d'un acquiescement ou d'une
absence d'opposition des Nations unies.
Créer un précédent serait donc regrettable, car
cela permettrait à des États mal intentionnés de prendre parti
dans telle ou telle querelle intérieure au nom de la sauvegarde d'une
fraction de la population. La légalité internationale prévient
les abus à venir.
On parle de mener des frappes aériennes pour
« punir » Bachar Al-Assad d'avoir franchi une
« ligne rouge », celle de l'usage de l'arme chimique.
La dimension morale de cette forme de réaction est forte,
mais celle-ci n'en suscite pas moins de sérieuses interrogations de notre
part. Cela fait deux ans que les combats armés se déchaînent en
Syrie. Ils ont causé plus de 110 000 morts, le déplacement
d'innombrables réfugiés, des drames humains séparant des
communautés qui, jusqu'alors, vivaient ensemble sans trop de
difficultés. Ces actions ne sont-elles pas en elles-mêmes
punissables ? Pourquoi la situation serait-elle devenue brutalement telle
qu'il faille maintenant bombarder la Syrie sans mandat international ?
Le recours à l'arme chimique est odieux, insupportable,
mais l'utilisation de bombes à fragmentation l'est-elle moins ? Il ne
s'agit pas d'accepter, il ne s'agit pas de se résigner, mais, au
contraire, de réagir de la meilleure façon, la plus efficace au
regard de l'objectif visé, à savoir le retour à la paix et
à la concorde civile en Syrie et dans la région !
Évidemment, nous payons tous le prix de l'attentisme de la
communauté internationale sur ce dossier.
On parle de frappes « ciblées »,
« proportionnées », devant dissuader Damas de recourir
à nouveau à l'arme chimique et attester que les lignes rouges
fixées ne peuvent être franchies sans que cela entraîne de
sérieuses conséquences.
Mais, parce que la situation intérieure est d'une
extrême complexité, l'on dit dans le même temps que l'on ne veut
pas provoquer la chute de Bachar Al-Assad et un changement de régime…
M. Philippe
Marini. C'est assez hypocrite !
M. Jean-Pierre
Raffarin. Punir sans abattre : or
la guerre est peu compatible avec la nuance !
On sait que, en Syrie, la solution doit être politique,
afin que les délicats équilibres soient ménagés, que les
radicaux islamistes n'imposent pas leur loi et leur dictature.
Nous notons que le caractère exclusivement punitif
donné à ces frappes militaires n'est pas approuvé par certains
voisins de la Syrie, qui soutiennent les combattants et les mouvements
islamistes et sont surtout portés, eux, à conjuguer tous leurs
efforts pour abattre le régime de Damas.
L'impact de nos frappes aériennes serait très
incertain. Je parlerai non pas de l'impact physique – qui est
cependant à prendre en considération, comme le font les populations
qui, actuellement, fuient la Syrie, ou comme pourrait le faire Bachar Al-Assad,
en recourant à l'horrible pratique des boucliers humains –,
mais de l'impact politique et diplomatique.
La région est déjà parcourue de crises et
soumise à des facteurs d'instabilité. Le Liban, la Jordanie, l'Irak
sont d'ores et déjà malmenés par des attentats qui traduisent
des clivages religieux. Des communautés chrétiennes sont de plus en
plus en butte aux exactions, aux proscriptions, alors qu'elles sont
présentes dans la région depuis des millénaires. La
sécurité d'Israël ne peut qu'être affectée par un
environnement instable, violent. Les chrétiens d'Orient, comme nos amis du
Liban, nous rappellent nos racines et nous appellent à la plus grande
réserve.
De façon plus large, l'impact sur d'autres dossiers de
sécurité en cours de discussion – ou de reprise de
discussion – avec la Russie, la Chine, l'Iran, ne peut être que
négatif si l'on substitue aux règles de la légalité
internationale celles de l'unilatéralisme, de la force des armes, ou la
traditionnelle arrogance occidentale.
J'entends bien ceux qui disent qu'une frappe punitive n'est pas
la guerre. Mais quand on a frappé, c'est celui qui est frappé qui
décide, par sa riposte, s'il y a guerre ou pas.
M.
Philippe Marini. Très juste !
M.
Jean-Pierre Raffarin. On ne
maîtrise pas la situation au lendemain d'une frappe.
M. Philippe Marini. Très
juste !
M.
Jean-Pierre Raffarin. Ce n'est pas
être « munichois », passif et pacifique que de
reconnaître que, dans les circonstances actuelles, le choix des armes
n'est certainement pas la réaction la plus appropriée.
Ce serait évidemment différent si le Conseil de
sécurité donnait son feu vert à une opération armée,
qui aurait alors une portée politique et juridique indiscutable.
M. Philippe Marini. Voilà !
M.
Jean-Pierre Raffarin. Le candidat
François Hollande partageait d'ailleurs cet avis, quand il s'exprimait en
ces termes sur une chaîne de radio, le 20 avril 2012 :
« La France participera à une intervention armée en Syrie
[…] si elle se fait dans le cadre des Nations unies. »
(M. Pierre Hérisson
applaudit.)
Alors que faire, puisque nous reconnaissons évidemment
l'odieuse utilisation d'armes chimiques ? Nous refusons l'absence de
réaction, nous rejetons la résignation.
(M. Jean- Marc
Todeschini
s'exclame.)
Même si nous devons reconnaître que la France s'est
mise elle-même dans une situation où son silence serait coupable et
abîmerait notre image, la France doit, d'abord et avant tout, rompre son
isolement européen. Une réunion du Conseil européen nous
paraît un préalable nécessaire à toute constitution d'une
coalition spécifique. (Marques
d'approbation sur les travées de l'UMP.)
Il faut bien sûr que la France agisse. Qu'elle le fasse
avec les autres membres de la communauté internationale, d'abord avec
l'Europe, mais aussi avec ses alliés.
La voie du consensus, du rapprochement des positions, des
intérêts est, certes, plus difficile que celle des frappes
militaires, mais elle seule est, selon nous, porteuse d'espoir quant à
l'obtention d'une solution politique acceptable.
En effet, qui peut croire, chers collègues, que des
frappes en Syrie feront avancer la solution politique ? Elles risquent, au
contraire, de durcir les positions en présence et les ressentiments.
M.
Bruno Sido. Absolument !
M.
Jean-Pierre Raffarin. La condamnation
du recours à l'arme chimique doit évidemment être sans ambages.
Il nous faut chercher à obtenir l'appui à cette condamnation le plus
large, car ni la Russie, ni la Chine, ni l'Iran ne peuvent non plus accepter
l'utilisation de l'arme chimique. Victime, dans le passé, des armes
chimiques, la Chine pourrait condamner leur emploi, pour peu que cette prise de
position ne soit pas contraire à sa vision de la non-ingérence
politique.
Il faut que le représentant des Nations unies et de la
Ligue arabe poursuive ses efforts pour amener autour de la table de
négociation les différentes parties prenantes en vue de dégager
un consensus. Lakhdar Brahimi connaît bien les conditions qui doivent
être satisfaites pour parvenir à la cessation de la guerre, à
une transition raisonnable, à la préservation de la cohabitation la
plus harmonieuse possible, en Syrie, de communautés différentes, qui
doivent retrouver la volonté de vivre ensemble.
Une fois cette feuille de route établie, il faut
évidemment prendre le chemin de Moscou, lieu probable de la véritable
solution politique. Nous savons que les Russes n'ont pas admis
l'interprétation occidentale de la résolution 1973 sur la Lybie.
Il faut donc dégager avec eux un consensus sur l'interprétation de
nos règles. C'est un passage obligé pour mobiliser Moscou.
M.
Jean-Louis
Carrère,
président
de la commission des affaires étrangères. Ce n'est pas New
York, c'est Moscou !
M.
Jean-Pierre Raffarin. Dans cette
période, la proximité avec l'Amérique n'est pas toujours un
atout dans la négociation.
M. Jean Besson. Bravo pour
l'amitié franco-américaine !
M.
Jean-Pierre Raffarin. Nous attendons,
monsieur le ministre, une relance du dialogue avec Moscou, qui est une
constante de notre diplomatie.
Au total, le bilan des interventions militaires récemment
engagées par nos démocraties n'est pas vraiment brillant.
Notre mission universelle ne consiste-t-elle qu'à
remplacer des dictateurs laïcs par des dictateurs religieux ?
(Vifs applaudissements
sur les travées de l'UMP et sur
certaines travées de
l'UDI-UC.)
Le défi est certes difficile à relever, mais il
s'impose à nous au regard de cette guerre qui dure, de ces failles qui se
creusent. Autant de drames qui se prolongent, mais qui doivent justement amener
les acteurs nationaux et internationaux à faire des concessions et les
gestes nécessaires.
La tragédie syrienne est évidemment un crime contre
l'humanité. La riposte est en question, mais vous avez entendu, monsieur
le ministre, notre profonde réserve, dans les circonstances actuelles,
à l'égard d'une intervention armée.
Trois préalables seraient à réunir : la
reconnaissance des preuves par l'ONU ; la légalisation internationale
de l'intervention, qui exige une relance de la diplomatie française ;
la définition des objectifs politiques par le Président de la
République devant la nation, dans le contexte qui résultera du vote
du Congrès américain.
L'impuissance des démocraties est le plus mauvais des
signaux envoyés à une planète qui, dans son ensemble,
hésite entre les régimes démocratiques et les régimes
autoritaires.
Le message des démocraties peut être celui de la
force, mais de la force légitimée par le droit. Une force certes
lente, mais une force puissante. « Une force qui va et qui sait
où elle va », disait Victor Hugo.
Je voudrais, en terminant mon propos, vous livrer un
témoignage personnel : j'ai entendu Colin Powell et George Bush,
forts de leur puissance et de leurs certitudes, nous exposer, à
l'Élysée, l'argumentation du leadership démocratique.
M.
François Rebsamen. Et
alors ? Quel rapport ?
M.
Jean-Pierre Raffarin. Face à eux,
j'ai vu un Président de la République française trouver la force
de la résistance dans ce qui fait la force de la France : son
indépendance. Dans les périodes difficiles, le meilleur des recours
est celui de la grandeur de la France !
(Applaudissements prolongés
sur les travées de l'UMP et sur
certaines travées de l'UDI-UC.
– M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)
M.
le président. La parole est
à M. François Rebsamen.
(Applaudissements
sur les travées du groupe socialiste
et du groupe écologiste.)
M.
François Rebsamen. Monsieur le
président, monsieur le ministre des affaires étrangères,
mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous n'en serez
pas surpris, mes propos différeront quelque peu de ceux que vient de tenir
M. Raffarin…
Ce qui nous anime, sur ce sujet, c'est la recherche permanente
du rassemblement le plus large, dans l'intérêt de notre pays.
À cet égard, vous avez salué, monsieur Raffarin,
la position adoptée par le Président Jacques Chirac à propos de
l'intervention en Irak. Je voudrais à mon tour lui rendre hommage pour
avoir refusé d'assister à un défilé militaire donné en
l'honneur de M. Bachar Al-Assad.
(Bravo ! et applaudissements
sur les travées du groupe socialiste
et du groupe écologiste.)
Mes chers collègues, comme l'a souligné le Premier
ministre, comme l'a rappelé le ministre des affaires étrangères,
le régime de Bachar Al-Assad a commis l'irréparable. Personne ne le
nie !
En effet, alors que, chaque jour, s'étalent aux yeux du
monde entier les atrocités les plus extrêmes, le 21 août
dernier, un nouveau palier a été franchi sur l'échelle de
l'impensable en Syrie : l'arme chimique a été à nouveau
employée et, avec une ampleur inédite, elle a frappé
indistinctement combattants et populations civiles.
Une première fois, au mois d'avril dernier, le régime
avait lancé plusieurs attaques. Le ministre des affaires
étrangères, Laurent Fabius, avait dénoncé les faits et
publié des éléments de preuve dès le mois de juin. Ces
attaques n'étaient, hélas, que des coups d'essai !
Le 21 août dernier, le régime a donc pris la
décision de perpétrer un massacre de masse avec des armes
marquées du sceau de l'opprobre et de l'interdit. Personne n'en
doute ; ne faites pas semblant d'en douter !
Nous ne savons pas si cet acte, commis le premier jour de la
mission des inspecteurs des Nations unies, était une provocation
supplémentaire, un ultime pied-de-nez à une communauté
internationale enlisée, ou répondait à une volonté de
brouiller les pistes. En fait, quel pouvait en être le véritable
mobile ?
Il y a encore deux ans, un de nos collègues disait que la
Syrie, si elle n'est certes pas une démocratie, est un pays où
prévaut la paix civile, qui permet de fonder des familles.
Mme
Laurence Rossignol. C'était
Philippe Marini !
M.
François Rebsamen. Eh bien, ce
n'est même plus le cas !
À n'en pas douter, Bachar Al-Assad a voulu tester les
limites tolérées par les puissances occidentales qui tentent de
mettre un frein à la répression sanglante qu'il inflige à une
partie des populations de Syrie et d'imposer une solution politique, à
laquelle tout le monde est évidemment attentif.
En faisant cela, ce régime vacillant, et non pas
renforcé, commet une double forfaiture.
Il a franchi une « ligne rouge »,
tracée par la convention sur les armes chimiques de 1925, qui fut la
réponse logique, humaniste et justifiée à l'horreur des gaz de
combat employés de façon massive lors de la Première Guerre
mondiale et dont furent victimes des centaines de milliers de combattants.
Bachar Al-Assad peut arguer qu'il se situe en dehors du champ
de cette convention. C'est d'ailleurs ce qu'il sous-entend dans un entretien
accordé à un quotidien français, quand il est interrogé sur
la détention par l'armée syrienne de stocks d'armes chimiques. Mais
la communauté internationale, à commencer par le secrétaire
général des Nations unies, considère, à juste titre, qu'il
s'agit bien d'un crime contre l'humanité. C'est la première
forfaiture.
Les combattants n'étaient même pas les seules cibles
de l'attaque du 21 août. Ce sont des civils, des femmes, des enfants
qui ont payé le plus lourd tribut à cette attaque aux portes de
Damas. Ces femmes et ces enfants représentent la moitié des victimes.
Il est inutile d'employer le conditionnel : nous avons vu des photos, nous
avons des preuves !
Seconde forfaiture insupportable, ultime : cette nouvelle
marche dans l'escalade de l'horreur intervient alors même que ce conflit a
engendré, en deux ans et demi, 3 millions de réfugiés et de
déplacés. Le Haut Commissariat aux réfugiés estime à
1 million le nombre d'enfants aujourd'hui exilés. C'est donc toute
une génération qui est en situation de détresse. Imaginez, mes
chers collègues, les conséquences de cette situation, pour la Syrie,
tout d'abord, mais également, dans les années à venir, pour les
autres pays de la région touchés par le conflit.
Alors, que devons-nous faire ? Quel est notre
devoir ?
J'ai écouté avec intérêt l'intervention de
notre collègue Jean-Pierre Raffarin, qui a exposé toutes les raisons
de ne rien faire. Je pense, pour ma part, que la communauté
internationale, la France, ses alliés ne peuvent pas rester inactifs face
à cette nouvelle tragédie ! Elle ne peut se contenter d'une
simple condamnation morale, qui n'atteindra jamais un tel régime !
Celui-ci n'a que faire des préoccupations humanitaires ; seules sa
propre survie et celle du clan au pouvoir le préoccupent depuis des
années : il est prêt à toutes les extrémités pour
les assurer, et si nous restons les bras croisés, les choses empireront.
Nous avons donc le devoir de l'arrêter, de mettre un coup
d'arrêt à l'utilisation d'armes chimiques : c'est cela, le sujet
de notre débat d'aujourd'hui, et non pas de savoir s'il faut ou non
voter ; sur quoi voterions-nous, d'ailleurs ?
Nous ne savons pas si nous obtiendrons l'aval de la Russie
– ce serait certes largement
préférable ! –, et donc la résolution des
Nations unies qui permettrait de conférer une légalité absolue
à une intervention militaire. Pour autant, il s'agit bien de faire
respecter le droit international ; les arguments en faveur de la
légitimité d'une action coercitive ne manquent pas et méritent
d'être entendus.
Même si la Syrie n'est pas partie prenante à la
Convention pour l'interdiction des armes chimiques signée en 1993,
l'emploi des armes de cette nature constitue incontestablement une violation du
droit international. Comme l'a déclaré le secrétaire
général des Nations unies le 21 août 2013,
« toute utilisation d'armes chimiques par un quelconque camp et en
n'importe quelle circonstance constituerait une violation du droit
international humanitaire ». C'est légitime ! Un
régime politique, quel qu'il soit, ne saurait s'exonérer du respect
d'un socle minimum de valeurs et de principes qui sont au fondement même
de la communauté des humains. L'interdiction de l'emploi d'armes de
destruction massive contre des populations civiles en fait naturellement
partie. À ce propos, nous nous félicitons que la Coalition nationale
syrienne s'engage, comme vous l'avez rappelé voilà quelques jours,
monsieur le ministre des affaires étrangères, à proscrire les
armes chimiques dans un avenir que nous espérons proche.
(M. Alain
Gournac
s'exclame.)
Par ailleurs, je veux ici rappeler que l'Assemblée
générale des Nations unies, afin de pallier les carences du Conseil
de sécurité, a adopté plusieurs résolutions concernant la
Syrie. La dernière, en date du 15 mai 2013, comporte les deux
éléments essentiels suivants.
Tout d'abord, elle souligne, en son paragraphe 6, que
« la crise en République arabe syrienne menace sérieusement
la sécurité de ses voisins et la paix et la stabilité
régionales et a de sérieuses répercussions sur la paix et la
sécurité internationales ». Or l'existence d'une menace
pour la paix et la sécurité internationales est une condition
sine qua non du recours à la force.
Ensuite, cette même résolution fait
référence à la persistance de violations et d'atteintes
flagrantes, généralisées et systématiques aux droits de
l'homme et aux libertés fondamentales par les autorités syriennes et
les milices progouvernementales. On en sait assez sur ce sujet ! En
l'espèce, il s'agit non pas de violations ponctuelles des droits de
l'homme, mais bien d'un manquement généralisé du régime
syrien à son obligation de protéger sa population, qu'il veut
même « liquider » !
Nous sommes en présence non pas d'un manquement à
n'importe quelles règles du droit international, mais de violations de
normes dites impératives du droit international. Je rappelle que ces
normes impératives ont ceci de particulier qu'elles s'imposent à
tous. Leur respect est dû à la communauté internationale dans
son ensemble, et il ne peut y être dérogé en aucune
circonstance.
Peu importe, donc, que la Syrie n'ait pas ratifié le
statut de la Cour pénale internationale : l'interdiction de commettre
des crimes contre l'humanité s'impose à ses dirigeants, puisque la
violation grave d'une norme impérative internationale constitue un crime
international. Sa violation justifie donc pleinement une intervention
coercitive.
La légitimité d'une intervention provient aussi des
preuves. Or le ministre des affaires étrangères a rappelé que la
France dispose d'un faisceau de preuves de la responsabilité du
régime syrien.
À cet égard, j'indique à M. Raffarin que la
mission des inspecteurs de l'ONU est d'établir s'il y a eu ou pas emploi
d'armes chimiques, et non qui, le cas échéant, les a utilisées.
(Marques d'approbation sur les
travées du groupe socialiste.)
M.
Didier Guillaume. Ce n'est pas
pareil !
M.
François Rebsamen. Je tiens
d'ailleurs à saluer ici l'efficacité de nos services de
renseignement. Ils prouvent ainsi qu'ils sont l'une des clefs de voûte de
notre autonomie stratégique, permettant à la France de disposer d'une
liberté d'appréciation des situations de crise que peu de pays
possèdent. Cette autonomie stratégique et cette liberté
d'appréciation sont au fondement de notre indépendance politique.
Que savons-nous aujourd'hui de cette attaque ?
J'ai écouté avec attention, monsieur le ministre, ce
que vous nous avez dit à ce propos. Nous savons qu'elle était
préméditée. Nous savons qu'elle a été
préparée en trois jours. Nous savons, enfin, que la seule structure
disposant des moyens matériels, logistiques et humains nécessaires
pour mener ce type d'opération est l'armée syrienne. Une telle
attaque suppose en effet un entraînement, des infrastructures et un
savoir-faire dont les insurgés sont dépourvus.
Mes chers collègues, j'entends, ici et là, avancer
des comparaisons hasardeuses avec les cas irakien ou libyen. Rien n'est plus
erroné.
En Libye, la coalition internationale est intervenue sur le
fondement de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de
l'ONU, pour empêcher la Jamahiriya libyenne de massacrer des civils. Cette
intervention a précipité la chute de Kadhafi.
Nous ne sommes pas non plus, comme Bachar Al-Assad et les
Russes le prétendent, dans la fantasmagorie des armes de destruction
massive de l'administration Bush à propos de l'Irak, dont nos amis
Anglais, et surtout leur Premier ministre, David Cameron, ont dernièrement
payé assez cher les conséquences ! Dans ce cas-là, les
missions d'inspection internationales n'avaient pu apporter
d'éléments tangibles relatifs à un réarmement irakien en
matière d'armes de destruction massive.
Aujourd'hui, dans le cas qui nous occupe, les preuves de
l'emploi d'armes chimiques sont là. Elles existent.
De fait, ces actes sont donc constitutifs d'un crime contre
l'humanité au sens du droit international et doivent donner lieu à
une sanction, qui ne peut être que de nature militaire. En cela, nous ne
nous conduisons pas purement en guerriers ; nous cherchons des solutions
afin d'empêcher Bachar Al-Assad et son régime de continuer à
perpétrer de tels crimes, qui ne peuvent nous laisser indifférents.
Le massacre de la Ghouta ne saurait être la
réédition du drame de Srebrenica, à l'occasion duquel la
communauté internationale, pourtant bien présente, s'était
illustrée par sa passivité. La passivité, en l'occurrence,
serait une nouvelle faute qui entacherait profondément notre mémoire.
Le massacre de la Ghouta ne peut attendre une justice qui
serait hypothétiquement rendue sur le tard, après un jugement tout
aussi hypothétique de ses responsables, comme dans le cas du massacre de
4 000 Kurdes à Halabja, commandité par Saddam Hussein.
Ce massacre massif et aveugle ne peut rester impuni et doit
être sanctionné. Comme le Président de la République l'a
déclaré, nous sommes manifestement en présence d'« une
violation monstrueuse des droits de la personne humaine ». Le seul
message que ce régime puisse comprendre est une vigoureuse intervention
militaire.
Cela a été rappelé maintes fois, et
répété encore aujourd'hui : même si cela peut choquer,
il s'agit non pas de libérer la Syrie, ni de renverser Bachar
Al-Assad – à titre personnel, je n'y verrais pourtant pas
d'inconvénient –, mais d'interdire à ce régime, qui
ne connaît ni limite ni retenue lorsqu'il s'agit de massacrer sa propre
population, d'utiliser l'un des modes opératoires les plus effroyables de
son arsenal.
Cette action militaire, au regard des faits et des
éléments de droit que j'ai soulevés précédemment, est,
je le pense, légitime et doit avoir une valeur de dissuasion. Il serait
pour le moins curieux de considérer comme illégale une action qui
vise à faire respecter le droit international.
La dissuasion est l'objectif principal de l'intervention
militaire, autrement dit le « but de guerre ». Il s'agit de
sanctionner militairement le régime et de marquer notre détermination
quant aux limites à ne pas franchir. C'est la seule et unique façon
d'ouvrir la voie à une solution politique. Vous pouvez ne pas être
d'accord avec nous sur ce point, chers collègues de l'opposition, mais
alors, faites des propositions !
Pour marquer notre détermination, il faut envisager une
action proportionnée mais ferme contre le régime de Damas, dans le
cadre d'une coalition internationale.
Vous avez pris un malin plaisir, monsieur Raffarin, à
affirmer que nos partenaires européens ne se joindraient pas à nous,
comme si vous le souhaitiez au fond de vous-même. Pour notre part, nous
voulons les convaincre et constituer cette coalition internationale, sans pour
autant court-circuiter l'ONU. Aujourd'hui, cependant, le Conseil de
sécurité est empêché d'agir.
La France ne veut pas faire la guerre au peuple syrien. La
France, vous le savez, a été exemplaire depuis le début de la
guerre civile. Notre diplomatie s'est distinguée par la recherche
obstinée d'une solution politique visant au départ de Bachar Al-Assad
et à un avenir meilleur pour la Syrie.
Contrairement à ce que l'on a pu dire ou écrire ici
et là, il s'agit non pas d'agir dans la précipitation, mais
d'intervenir dès lors qu'un faisceau de preuves est réuni.
Tout d'abord, cela a été rappelé, nous n'agirons
que dans le cadre d'une coalition, qui devra être la plus large possible.
Lorsque la France et les États-Unis convergent vers un même objectif,
à savoir la justice et le respect du droit international humanitaire, il
s'agit là d'une vision partagée de la justice, apte à rassembler
bien au-delà de nos deux pays.
Cette coalition ne pourra agir que dans le seul dessein de
sanctionner le régime de Bachar Al-Assad, et se bornera donc à mener
des actions ciblées et limitées dans le temps.
Je ne doute pas que le Gouvernement, que nous soutenons,
prendra les mesures nécessaires pour préserver nos intérêts
dans la région et assurer la sécurité de nos implantations
diplomatiques, ainsi que celle de nos ressortissants et de nos soldats
engagés au Liban.
Le conflit syrien irradie déjà bien au-delà des
frontières du pays et menace aujourd'hui de déstabiliser l'ensemble
de la région, ne serait-ce que par l'afflux de réfugiés au
Liban, en Jordanie, en Turquie.
Bachar Al-Assad ne fait d'ailleurs pas mystère de ces
menaces. En cet instant, la communauté française, la
représentation nationale doivent être rassemblées. La France ne
peut pas se laisser intimider par les propos d'un dictateur rapportés par
un de nos journaux ! Ce n'est pas tolérable !
(Applaudissements
sur les travées du groupe socialiste
et du groupe écologiste.)
Chers collègues de l'opposition, nous avons su, à
d'autres époques, applaudir certaines interventions de membres de
gouvernements que vous souteniez. J'aurais apprécié que vous fassiez
de même aujourd'hui, à votre tour, eu égard à la grande
qualité du discours de M. le ministre des affaires
étrangères.
(Applaudissements
sur les travées du groupe
socialiste.)
M.
Alain
Gournac.
Et vous, que faisiez-vous lorsque vous étiez dans l'opposition ?
M.
François Rebsamen. Enfin, pour
clore la polémique sur la nécessité d'un vote, je souhaiterais
rappeler ici quelques éléments de droit. Je pense que vous connaissez
l'article 35 de la Constitution, puisque vous l'avez voté.
Aux termes de cet article, le Gouvernement « informe
le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées
à l'étranger ». Je remercie d'ailleurs le Gouvernement de
le faire, comme d'avoir communiqué à l'ensemble des responsables
politiques de notre pays les éléments qu'il détient. Il est
important que chacun puisse disposer de toutes les informations
nécessaires pour se forger sa propre opinion.
M. Alain
Néri. Oui !
M. François
Rebsamen. Je rappelle que certains de
ceux qui aujourd'hui réclament un vote s'y étaient farouchement
opposés en 2008. Il est vrai que l'on a le droit de changer d'avis !
(Sourires
sur les travées du groupe socialiste
et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mais vous avez voté l'article 35 de la Constitution,
mes chers collègues !
À l'heure où nous parlons, l'intervention est à
peine à l'état de maturation, puisqu'il est a priori exclu que
la France agisse seule. Demander un vote à ce stade n'a par
conséquent pas grand sens.
M. Didier
Guillaume. Aucun sens !
M. François
Rebsamen. Et un vote sur quoi ?
La question ne peut se poser que plus tard, mais personne ne
niera qu'il s'agit là de la responsabilité pleine et entière du
Président de la République.
M. Jean-Louis
Carrère,
président
de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées. Très bien !
Mme Marie-Hélène
Des Esgaulx. De toute manière, ce
n'est pas comparable, puisque, maintenant, c'est sans mandat de l'ONU !
M. François
Rebsamen. Vous risquez d'avoir des
surprises !
Nous mesurons les risques que comporte une telle intervention,
mais, mes chers collègues, ainsi que cela a été souligné,
c'est l'honneur et la grandeur de la France d'être en pointe dans le
combat pour le respect des droits humains les plus élémentaires, ces
droits bafoués depuis trop longtemps par le régime de Bachar Al-Assad.
Malgré ces risques, nous savons aussi pertinemment qu'une
non-intervention aurait des conséquences bien plus graves pour l'ensemble
de la région, voire pour la communauté internationale.
Raisonnons a contrario, car je crois que c'est
l'argument le plus fort en faveur de l'intervention, et imaginons un instant
que l'action du régime de Damas ne soit pas sanctionnée.
Le régime poursuivra l'utilisation d'armes chimiques
– ce n'est pas rien ! –, occasionnant de nouveaux
massacres de masse, repoussant dans leur dernier retranchement les forces
insurgées, à commencer par les unités de l'Armée syrienne
libre – il n'y a pas là-bas que des combattants
d'Al-Qaïda –, et écartant du même coup toute solution
politique.
Ne rien faire, ne pas intervenir serait le plus mauvais signal
envoyé à toutes les puissances, et il y en a, qui souhaitent se
soustraire au droit international. Ainsi, l'Iran ne serait plus du tout
dissuadé de poursuivre son programme nucléaire. De manière
générale, et ce qui serait encore plus inquiétant, les
dynamiques de prolifération des armes de destruction massive seraient
encouragées.
La convention sur l'interdiction des armes chimiques serait
irrémédiablement abîmée. Dans le même temps, le subtil
et fragile édifice fait de conventions et de traités, bâti
à grand-peine, auquel a contribué notre pays dans le cadre de sa
politique extérieure, s'écroulerait. La lutte contre la
prolifération et l'emploi des armes de destruction massive est un domaine
dans lequel notre pays a toujours été précurseur, car nous avons
conscience, et le Premier ministre l'a rappelé, qu'il s'agit d'un enjeu
majeur de sécurité collective.
Enfin, ce n'est pas trop de le dire, il y va de la survie de
l'avenir des révolutions arabes et de notre responsabilité à
l'égard de ceux des peuples qui conquièrent leur liberté en
versant le prix du sang. (Murmures sur
certaines travées de l'UMP.) Il est vrai que certains
préfèrent Bachar Al-Assad... Moi pas !
Les régimes autocratiques se verraient déliés du
peu de scrupules qui les retiennent dans leur répression. Nous ne pouvons
le tolérer.
De fait, une non-intervention aurait des conséquences plus
graves pour l'ordre international qu'une intervention militaire
opérée en coalition, même sans résolution du Conseil de
sécurité des Nations unies.
Nous le savons, il s'agit d'une décision courageuse et
difficile. Je veux saluer ici la détermination sans faille et la
ténacité du Président de la République et de l'ensemble de
l'exécutif. Ce sont de ces mêmes qualités qu'ils ont su faire
preuve à l'occasion de la crise malienne.
La France doit continuer à assumer ses
responsabilités, comme elle le fait depuis le début de la
tragédie syrienne. Elle doit continuer à œuvrer pour réunir
les conditions permettant de sanctionner ce régime qui n'a pas droit
à l'impunité. En même temps, nous en sommes bien d'accord, elle
doit poursuivre sa quête visant à l'émergence d'une solution
politique, seul horizon possible pour la Syrie. De cela, nous sommes tous
persuadés. (Applaudissements
sur les travées du groupe socialiste
et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le
président. La parole est à
M. Pierre Laurent.
(Applaudissements
sur les travées du groupe CRC.)
M. Pierre
Laurent. Monsieur le président,
monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les
ministres, mes chers collègues, la tragédie dans laquelle s'enfonce
la Syrie et le martyre subi par son peuple placent aujourd'hui la France devant
une alternative cruciale : soit préparer la guerre en soutenant les
visées de l'administration américaine en Syrie et au Proche-Orient,
soit définir un rôle propre, indépendant et positif, contre les
illusions de la force et les dangers de l'intervention militaire, pour une
solution négociée garantissant l'arrêt des massacres et une
transition vers la démocratie.
Le choix qui doit être fait est d'une grande portée
pour la Syrie, pour toute la région, pour la France. Il mérite et
appelle un débat, mais aussi un vote du Parlement, ainsi que je l'ai
demandé au Président de la République dès le
27 août.
Quelque deux Français sur trois se déclarent
aujourd'hui opposés à une intervention militaire. En Europe comme aux
États-Unis, des constats semblables témoignent aussi
d'interrogations, de réticences et d'hostilités massives à la
guerre.
Le choix de la guerre ne peut être celui d'un seul homme.
Devant un enjeu si crucial, dans un monde devenu si complexe, nos institutions,
qui réservent au seul chef de l'État le pouvoir d'engager nos
armées, témoignent de leur archaïsme. Je réitère ici
notre demande solennelle : aucune décision ne doit être prise
sans un vote du Parlement.
M. Jean-Marc
Todeschini. Vous voteriez quoi ?
M. David
Assouline. Oui, que
voteriez-vous ?
Mme Éliane
Assassi. À quoi servons-nous,
sinon ?
M. Pierre
Laurent. La crise syrienne est devenue
une terrible guerre civile, déclenchée, il y a plus de deux ans
maintenant, par la brutale et sauvage répression lancée par le
régime de Bachar Al-Assad contre son peuple et amplifiée depuis par
l'internationalisation et l'ingérence militaire croissante des puissances
régionales et internationales dans le conflit. La France n'a
malheureusement pas été en reste.
Le drame syrien est donc aussi devenu une crise
géopolitique internationale, dans une région, le Proche-Orient,
où tous les conflits s'entremêlent.
Dans un tel contexte, ce qui est attendu de la France, c'est la
capacité à proposer une perspective, une solution, un mode de
règlement politique. Or ce qui se prépare, ce que vous nous invitez
à soutenir, c'est l'inverse, à savoir une intervention militaire dont
les risques sont énormes et qui, on le sait, ne résoudra rien. La
France ne doit pas s'y engager. Elle doit choisir une autre voie d'action. Oui,
la France doit agir, mais sûrement pas pour rajouter de la guerre à
la guerre, du sang au sang.
Quel est le sens de l'entreprise de guerre que vous
envisagez ? Punir le régime de Bachar Al-Assad ? Le
« punir », dites-vous, pour empêcher que ne se
renouvelle l'usage des armes chimiques. Quelle est la pertinence de ce choix,
quelle est son efficacité réelle ? Quelles en seront les
conséquences, quelle sera son utilité pour faire progresser
l'indispensable solution politique dont le Président de la République
affirme lui-même qu'elle reste la seule véritable issue ?
Peut-on bombarder la Syrie, des objectifs militaires, des
infrastructures civiles, comme ça, pour « marquer le
coup », juste « pour voir », comme au poker, sans
s'appuyer sur la légalité du droit international et un mandat de
l'ONU, sans évaluer les risques d'un embrasement régional, notamment
au Liban où, dans les faits, il a déjà commencé avec une
succession d'attentats, de représailles et de vengeances, sans mesurer les
conséquences pour les civils syriens, les représailles possibles du
régime, sans veiller au sort de nos deux otages dans ce pays ? Ne les
oublions pas !
Le degré supplémentaire franchi dans l'horreur par
l'usage massif d'armes chimiques justifie, selon vous, que la France entre
à son tour ouvertement dans la guerre. Mais pour aller où ?
L'usage des armes chimiques est inqualifiable. C'est un crime
effrayant et insoutenable. Il inscrit ceux qui l'ont commis dans la violation
manifeste des conventions qui les interdisent : ceux-là devront en
rendre compte quand les responsabilités seront clairement établies de
manière internationale.
La France, comme membre permanent du Conseil de
sécurité des Nations unies, a le devoir de remettre tous les
éléments dont elle dispose à la mission d'enquête de l'ONU
et au Conseil de sécurité pour que ceux-ci établissent
officiellement les responsabilités. À cet égard, j'estime qu'en
tant que parlementaires, c'est-à-dire représentants d'un pays membre
du Conseil de sécurité, nous devrions éviter les
déclarations qui, comme j'ai pu l'entendre ici, traitent par-dessus la
jambe le travail des inspecteurs de l'ONU.
La France déclare détenir des preuves, et nous les
prenons au sérieux, mais rien ne la dispense de tenir compte des
résultats de la mission d'enquête de l'ONU, rien ne l'autorise à
pouvoir prétendre « punir » seule, sauf à
contribuer ainsi elle-même à discréditer la légalité
internationale.
Comme le notait déjà la commission d'enquête
internationale indépendante dans le rapport remis à l'ONU au mois de
juin dernier, « la Syrie est en chute libre, les crimes de guerre et
les crimes contre l'humanité sont une réalité quotidienne en
Syrie. Personne n'est en train de gagner la guerre et personne ne la
gagnera ». Face à l'amplification des crimes, qui dure depuis
des mois, avant même l'attaque chimique, la France doit inlassablement
travailler à trois objectifs : tout faire pour que cessent les
hostilités ; ramener tous les belligérants, syriens et
internationaux, autour de la table des négociations ; imposer une
solution politique négociée qui garantisse une transition de la Syrie
vers la justice et la démocratie exigée par son peuple.
L'escalade guerrière que vous nous proposez tourne le dos
à ces trois exigences. Elle rajoutera de la guerre à la guerre et
nous éloignera de la solution politique et négociée
incontournable.
Les autorités françaises mesurent-elles avec
suffisamment d'attention et de prudence les expériences désastreuses
des guerres en Irak, en Afghanistan ou en Libye, conflits que personne dans le
monde ne peut oublier ? Chaque fois, on a prétendu imposer, par la force,
une « solution » en prenant, selon la formule
consacrée, « toutes les mesures nécessaires ». Or
les gouvernements coalisés n'ont finalement récolté que la
poursuite de la crise, une déstabilisation profonde, voire le chaos.
Le syndrome d'un modèle d'intervention libyen, mené
par le pouvoir sarkozyste dont on mesure pourtant aujourd'hui les effets
désastreux, a malheureusement dramatiquement marqué la diplomatie
française dans la crise syrienne. Est-ce qu'avec ces guerres la
démocratie a progressé ? Est-ce que la sécurité s'est
renforcée ? Est-ce que les relations et les institutions
internationales en sont sorties consolidées ?
Que de questions sans réponse ! Que de risques
majeurs sans vision politique digne de ce nom ! Que d'échecs
tragiques et stratégiques dont on ne tire pas les leçons !
Encore une question : le peuple syrien, première
victime de cette crise, n'est-il pas en réalité le grand oublié
de cette tragédie
(Mme Éliane Assassi
acquiesce), otage
dramatiquement effacé de la confrontation des intérêts
géopolitiques de puissances dont la Syrie est hélas devenue une sorte
de ligne de front ? Au mois de mars 2011, le peuple de Syrie s'est
soulevé pacifiquement, comme celui de Tunisie ou celui d'Égypte, au
cours de ce que l'on a à l'époque appelé le «
printemps arabe »... Ce fut pour les libertés, pour un État
de droit, pour la justice sociale, pour la souveraineté.
Ce mouvement, c'est la vérité du peuple syrien, c'est
l'espoir du peuple syrien.
Ce mouvement, nous l'avons soutenu contre la dictature
criminelle et corrompue de Bachar Al-Assad. Nous le soutenons toujours, en
Syrie comme ailleurs.
On voit aujourd'hui combien la conquête de
l'émancipation politique et sociale engagée par ces peuples est
complexe et difficile. Elle l'est particulièrement en Syrie, où le
régime, dès les premiers jours, a choisi une répression
féroce et meurtrière qui n'a fait qu'accélérer la
militarisation de la crise et une terrible escalade dans la confrontation
armée, avec des exactions d'une sauvagerie inouïe.
Le bilan de cette crise est épouvantable ; nous le
connaissons tous : plus de 100 000 morts, plusieurs millions de
réfugiés, une société pulvérisée par la violence
des affrontements, par les divisions politiques et confessionnelles, par les
atrocités commises par des groupes salafistes qui sont, pour l'essentiel,
des corps étrangers à une société syrienne
profondément laïque, mais armés par des puissances
régionales dont certaines font, paraît-il, partie de nos
alliés…
Alors, oui, il faut arrêter ça ! Il faut
arrêter ça pour le peuple syrien. Il faut arrêter ça pour
toutes celles et tous ceux qui, en 2011, se sont mobilisés pacifiquement
dans ce pays. Il faut arrêter cette escalade tragique et chercher le
chemin d'une issue politique pour aller vers une transition démocratique.
Une intervention militaire, dirigée par un duo isolé
de puissances occidentales, hors du droit, constituerait un degré
supplémentaire dans l'inacceptable, aux conséquences
incontrôlables.
Ce n'est pas par la guerre que l'on peut protéger les
peuples et gagner une sécurité humaine. La France doit prendre
d'urgence un autre chemin, définir une vision politique et prendre de
fortes initiatives.
Oui, il y a une alternative à la guerre !
Nous appelons donc les autorités françaises à
proposer à tous nos partenaires internationaux, dès la réunion
du G20, une rencontre au sommet de tous les belligérants et des
principales puissances impliquées, les États-Unis et la Russie, bien
sûr, mais aussi la Turquie et l'Iran, notamment, afin de définir les
conditions d'un arrêt de l'escalade dans la confrontation militaire.
Il faut reprendre l'esprit et l'ambition de la deuxième
conférence de Genève, qui aurait pu tracer la voie d'une telle
solution il y a déjà des mois. Mais, au lieu de la soutenir dès
juin 2012, au lendemain de Genève I, vous l'avez aussitôt
mise en doute, monsieur le ministre, au motif que l'accord passé à
l'époque ne prévoyait pas assez clairement la mise à
l'écart de Bachar Al-Assad.
L'occasion de stopper les massacres a été
gâchée. Or, aujourd'hui, vous préconisez une intervention aux
risques énormes en déclarant qu'elle ne vise pas le départ de
Bachar Al-Assad.
Où est la vision, où est la cohérence ?
M. Francis
Delattre. Bonne question !
M. Pierre
Laurent. La France doit cesser de se
fourvoyer et reprendre l'initiative politique et diplomatique. Cela est encore
possible, mais il y a urgence.
On voit d'ailleurs le niveau élevé des
réticences politiques et des rejets populaires de la guerre en
Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, dans toute l'Europe, et même aux
États-Unis.
Non, il n'y a pas de consensus pour la guerre !
La France, monsieur le ministre, a mis jusqu'ici son
énergie dans l'option militaire. Nous vous demandons de l'investir dans la
recherche d'une issue politique. Au lieu d'imposer la guerre, il faut, avec
détermination, avec vos alliés, avec la Russie, emmener les
protagonistes syriens aux conditions d'un règlement politique, avec un
calendrier et de vraies décisions qui puissent constituer une réelle
avancée dans la voie de la transition démocratique attendue par le
peuple syrien. La France se grandirait en agissant ainsi, même si, nous le
savons, le chemin est difficile.
Le G20 doit être utilisé pour une première et
urgente concertation multilatérale, en particulier avec la Russie, les
États-Unis et les autres puissances concernées.
La crise géopolitique syrienne sollicite donc, avec
insistance, la France et le rôle qui devrait être le sien dans le
monde d'aujourd'hui. Car cette crise majeure fait surgir immédiatement
d'autres questions de grande portée internationale, en particulier l'enjeu
global de la sécurité internationale, celui du désarmement et de
l'élimination des armes non conventionnelles ou de destruction massive.
Il n'y a pas, en effet, que les armes chimiques. Il y a aussi,
notamment dans la région, les armes nucléaires et la question,
cruciale, de la prolifération.
Lors de la Conférence des ambassadeurs, voilà
seulement quelques jours, le Président de la République, à
propos de la crise sur le nucléaire iranien, a explicitement
affirmé : « Le temps presse […], la menace grandit et
le compte à rebours est d'ores et déjà
enclenché. » Nous souhaitons, monsieur le ministre, que cette
grave formulation, visant le principal allié de la Syrie, ne soit pas
l'annonce que la crise iranienne devrait, elle aussi, le moment venu, passer
par l'inacceptable et dangereuse phase d'une nouvelle opération militaire.
On dit, en effet, à Paris comme à Washington, que
« toutes les options sont sur la table ». Y compris, de
nouveau, la guerre ? Jusqu'où irons-nous encore ? Je souhaite,
monsieur le ministre, que vous répondiez à cette question.
Le traité de non-prolifération doit être
respecté par tous ses signataires. Il faut aller vers un désarmement
nucléaire multilatéral et contrôlé. Et ni les
États-Unis, ni la France, ni d'autres puissances ne peuvent se permettre
d'envisager le règlement de toutes les crises par la force. C'est
impensable ! Ne nous engageons pas dans un tel engrenage !
Construire une sécurité collective et humaine sur le
plan international appelle tout autre chose que la guerre et les ambitions de
domination qui vont avec. La France ne doit pas suivre Washington sur ce fil
qui mène aux déstabilisations et aux désastres que nous
connaissons déjà. Un changement sur le fond de politique
internationale et de conception de la sécurité s'impose, avec un
effort indispensable pour le désarmement concernant toutes les armes de
destruction massive, et la nécessité de lier cette option essentielle
au règlement des conflits, notamment la crise sur le nucléaire
iranien, la politique israélienne et la question de la Palestine, la
politique de la Turquie et la question kurde…
L'urgence n'est pas de faire la guerre ; elle est de
construire un avenir commun pour tous les peuples dans cette région
cruciale de la Méditerranée et du Proche-Orient. Saurons-nous, en
Syrie et ailleurs, commencer à relever ce formidable défi ? Nous
pensons, pour notre part, que la France, si elle le décide, en a la force.
(Applaudissements
sur les travées du groupe CRC.
- MM. Jean-Pierre Chevènement
et Robert Hue applaudissent également.)
M. le
président. La parole est à
M. Jean-Marie Bockel.
(Applaudissements
sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Jean-Marie
Bockel. Monsieur le président,
monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les
ministres, mes chers collègues, la guerre civile qui secoue la Syrie
représente un drame humain depuis près de deux ans et demi
maintenant. Selon les services de l'ONU, ce conflit meurtrier a fait à ce
jour entre 93 000 et 110 000 morts. Voilà la
réalité !
Une nouvelle étape dans l'escalade de la violence semble
toutefois avoir été franchie dans la journée du
21 août dernier.
En effet, les preuves d'une utilisation à large
échelle d'armes chimiques par le régime syrien de Bachar Al-Assad, et
ce à l'encontre de sa propre population, convergent désormais.
La communauté internationale ne peut rester figée
sans réponse face à des crimes d'une telle gravité ; elle
se doit d'y apporter une réponse appropriée.
Néanmoins, le déclenchement d'une éventuelle
intervention militaire à l'encontre du régime syrien, même
ciblée et ponctuelle, ne peut, le cas échéant, se faire dans la
précipitation, sans que l'on prenne en compte les multiples implications
géopolitiques qu'elle pourrait avoir et la complexité de la
situation, particulièrement dans cette région du monde.
Le rejet d'une motion présentée par le premier
ministre britannique, David Cameron, et tendant à autoriser le recours
à la force devant la Chambre des communes a ainsi démontré que
des interrogations subsistaient quant à une opération dans ce pays,
qui fut souvent un allié sur le plan militaire. En France, un récent
sondage a confirmé que nos compatriotes se posaient les mêmes
questions.
Dans les grands pays démocratiques, à l'instar des
États-Unis, où le président Obama a suspendu sa décision au
vote du Congrès américain, c'est une logique politique qui
prévaut, au-delà des mécanismes institutionnels. Il s'agit en
définitive d'obtenir le soutien du Parlement, même si celui-ci n'est
pas constitutionnellement indispensable, afin de forger une position nationale
plus forte, quelle qu'elle soit.
Dès lors, monsieur le ministre, mes chers collègues,
il apparaît aux sénateurs du groupe UDI-UC qu'il est politiquement
impensable de prendre la décision d'engager nos forces armées en
Syrie sans que le Parlement puisse préalablement s'exprimer sur le sujet
par un vote.
Certes, nous ne contestons pas que le Président de la
République demeure chef des armées et qu'il lui appartient d'engager
nos forces armées de manière discrétionnaire et dans l'urgence
quand nos intérêts nationaux sont en danger, comme ce fut le cas au
Mali. Mais force est de constater que la situation est différente en
l'espèce. Aussi, une consultation du Parlement permettrait de rechercher
le consensus national tout en apportant des réponses aux multiples
questions que nous nous posons. Ce débat est nécessaire.
Car il est clair qu'une telle opération militaire ne peut
être envisagée, le cas échéant, sans que l'on ait pesé
attentivement ses conséquences et délimité ses objectifs. Sinon,
nous risquons de nous retrouver prisonniers d'une mécanique infernale qui
pourrait conduire à l'embrasement de la région, et au-delà.
Le Président de la République a évoqué
l'idée d'une intervention « punitive » qui aurait
vocation à mettre un coup d'arrêt à la sauvagerie des actes
perpétrés par le régime de Damas. Mais posons-nous les bonnes
questions, il est encore temps : une telle opération permettrait-elle
de marquer réellement un coup d'arrêt à l'escalade de la
violence en Syrie ? Contribuerait-elle efficacement à la protection
de la population civile, alors qu'un exode massif s'amplifie chaque jour un peu
plus ? Quelles en seraient les objectifs ? Pourquoi ne pas envisager
la mise en place de couloirs humanitaires, voire d'une zone d'exclusion
aérienne, dans un premier temps, pour protéger efficacement les
populations civiles ?
En outre, n'y a-t-il pas un risque d'exacerbation du conflit et
de fragilisation de la région tout entière, d'autant que la crise
syrienne s'est déjà propagée à certains pays voisins ?
Une déstabilisation des équilibres de la région, où de
multiples acteurs, étatiques ou non, se côtoient, pourrait
déclencher une machine infernale que nul ne pourrait arrêter, au
moment même où nous pouvons déjà observer une transposition
des termes du conflit sur le territoire du malheureux Liban.
En somme, la définition d'objectifs stricts et précis
doit nous garder du risque réel d'un embrasement généralisé
de cet « Orient compliqué », qui aurait sans nul doute
des répercussions immédiates dans tout le pourtour
méditerranéen, dont la France fait partie.
Le cadre légal – plusieurs orateurs l'ont
rappelé – est également fondamental. Comment inscrire une
opération militaire dans la légalité internationale en dehors de
tout mandat des Nations unies ? Le critère humanitaire est-il
suffisant ? Cette question est d'autant plus délicate à
appréhender que le schéma du conflit est particulièrement
complexe. En effet, l'analyse simpliste des « bons » et des
« méchants » ne résiste pas à l'épreuve
des faits, avec des forces de l'opposition fragmentées, dont certains de
ses membres, proches de l'islam radical, comme chacun le sait, sont loin
d'être des « enfants de chœur » !
Enfin, nous mesurons encore mal les implications qu'une telle
opération pourrait avoir vis-à-vis de pays comme la Russie ou la
Chine, qui, jusqu'à aujourd'hui, soutiennent peu ou prou le régime de
Damas. Ces pays, qui bloquent déjà depuis près de trente et un
mois toute adoption de résolution sur le sujet par le Conseil de
sécurité, pourraient continuer de soutenir le régime de Damas en
cas d'intervention militaire, notamment à travers la livraison d'armes
supplémentaires, avec à la clé un risque d'escalade. À cet
égard, un surcroît d'efforts diplomatiques pour conforter l'entente
internationale est très certainement préférable, à ce stade.
La prudence s'impose donc. La précipitation n'est pas une
méthode d'action et nous ne pouvons envisager, le cas échéant,
une option militaire sans une meilleure appréciation de la situation et de
ce que nous attendons d'une intervention armée éventuelle.
Alors que l'exacerbation du conflit entraîne une
accélération de l'exode des populations civiles, je tiens à
attirer votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur la
question humanitaire, qui est bien réelle.
J'étais il y a quelques jours seulement dans la
région au titre de la commission des migrations, des réfugiés et
des personnes déplacées de l'Assemblée parlementaire du Conseil
de l'Europe, une assemblée au sein de laquelle nous sommes plusieurs ici
à sièger. À cette occasion, je me suis rendu dans
différents camps, formels ou informels, de réfugiés au Liban et
en Turquie, à quelques kilomètres de la frontière syrienne,
où j'ai pu recueillir, comme d'autres, le témoignage poignant de ces
populations, qui ont bien souvent tout perdu et qui vivent dans le
dénuement le plus total.
Appelons les choses par leur nom ; c'est bien à un
drame humanitaire que nous assistons en Syrie et dans les pays voisins. Le
bilan de la guerre civile syrienne est d'ores et déjà accablant, et
près de 2 millions de Syriens, dont 1 million d'enfants, ont
d'ores et déjà trouvé refuge dans les pays limitrophes. Les
drames humains dépassent les logiques comptables. Il est là aussi, le
véritable « crime contre l'humanité ».
Pour António Gutteres, le Haut-commissaire des Nations
unies pour les réfugiés – je salue au passage le rôle
remarquable joué dans cette crise par le HCR et certaines
ONG –, « La Syrie est devenue la grande tragédie de
ce siècle, une calamité humanitaire indigne avec des souffrances et
des déplacements de population sans équivalent dans l'histoire
récente. »
Pouvons-nous rester sans réagir, alors que l'aide
pâtit d'un sous-financement chronique ? Qu'attendons-nous pour
renforcer notre soutien humanitaire aux pays de la région ?
Voilà un engagement immédiat que nous pourrions prendre.
La France et, surtout, l'Europe entendent-elles rehausser leurs
engagements à cet égard, alors que l'amplification du conflit va
inéluctablement entraîner un afflux supplémentaire de
réfugiés ?
Dans le petit Liban de 3,5 millions d'habitants, en
l'espace de onze mois, les réfugiés qui s'entassent dans des camps
non-formels sont passés de 25 000 à près de 700 000,
et l'on pense qu'ils seront 900 000, voire 1 million à la fin de
l'année. Telle est la réalité !
La période de consultation et de réflexion que nous
vivons en ce moment doit par ailleurs nous permettre de définir une
méthode d'action pour répondre à l'ensemble de ces enjeux.
De nombreux orateurs l'ont dit, une éventuelle
intervention ne peut être envisagée totalement en marge des Nations
unies. Certes, le Conseil de sécurité est paralysé, mais ne
fermons pas la porte aux tractations diplomatiques, y compris avec les Russes,
afin de maintenir une démarche inclusive : eux aussi voient ce qui se
passe, eux aussi sont témoins des horreurs actuelles, eux aussi ont une
opinion publique.
D'autres voies diplomatiques pourraient aussi être
étudiées, notamment l'adoption de résolutions par
l'Assemblée générale des Nations unies. Une telle démarche
permettrait d'accroître la pression internationale sur Damas.
Par ailleurs, cette intervention éventuelle devrait se
faire dans le cadre diplomatique le plus large possible. La mise en place d'une
« coalition des volontaires », si elle aboutissait, ne
saurait se limiter à quelques pays occidentaux, au risque de donner des
arguments fallacieux aux adeptes du « choc des
civilisations ». Une fois de plus, on en verrait les
conséquences, qui se traduiraient par des difficultés à
constituer une nécessaire coalition internationale.
Et quid des positions de la Ligue arabe, certes
divisée, mais incontournable, ainsi que des grands pays limitrophes ?
Je pense à la Turquie, qui est une puissance régionale tout aussi
incontournable, mais aussi à l'Iran, acteur-clé de la région,
s'agissant d'un conflit qui, à bien des égards, ressemble à une
guerre de religion de notre temps.
Il est en effet de notoriété publique que la
rébellion syrienne est composée en partie de mouvements salafistes
extrémistes, souvent extérieurs, jouant sciemment la carte de
l'affrontement entre les différentes branches de l'islam. Nous ne saurions
laisser la Syrie aux mains de tels groupes sans déstabiliser l'ensemble de
la région pendant plusieurs décennies.
Il nous faut donc trouver le moyen d'œuvrer, autant que
faire se peut, le plus unis possible, à une sortie de crise par le haut,
préservant les minorités religieuses, notamment chrétiennes,
sans faire le jeu de ces groupuscules extrémistes.
Enfin, et c'est un vœu solennel que je prononce devant
vous, au nom de notre groupe, mes chers collègues, il serait impensable
que l'Europe ne se saisisse pas davantage de la question, dans son volet
humanitaire – on peut faire mieux et on peut faire plus ensemble –,
mais aussi dans sa dimension politique. Quelle formidable occasion de
démontrer que l'Europe politique est capable, devant une telle crise,
devant un tel enjeu géopolitique, de se mettre en mouvement ! La
Syrie est membre de l'Union pour la Méditerranée, dont font partie
les pays de l'Union européenne. C'est donc bien de notre voisinage
immédiat qu'il est ici question !
Certes, le Royaume-Uni s'est retiré pour le moment du
processus, mais quelle est la position de l'Allemagne, de l'Italie, de
l'Espagne et de l'ensemble des pays européens ? Que fait
Mme Ashton ? Il faudrait que les chefs d'État et de gouvernement
européens se réunissent au plus vite sur cette question, pour
définir une approche commune et une stratégie d'action, que l'on
trouve ensemble un dénominateur commun ! Une fois de plus, la
crédibilité de l'Europe est en jeu.
M. Gérard
Longuet. C'est vrai !
M. Jean-Marie
Bockel. Nous en avons tous conscience,
monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la
République a de graves décisions à prendre. Notre rôle, en
tant que sénateurs, représentants du peuple français, est de
nous assurer que sa décision sera prise au nom d'objectifs réalistes,
atteignables et utiles, respectueux de la sécurité de la France comme
de la légalité internationale.
Cela n'a rien d'une impossible quadrature du cercle ! Ne
gâchons pas l'occasion de trouver une solution pérenne et durable
à la crise syrienne et revoyons-nous prochainement pour un nouveau
débat, suivi d'un vote !
(Applaudissements
sur les travées de
l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. le
président. La parole est à
M. Jean-Pierre Chevènement.
(Applaudissements
sur certaines travées du RDSE et de
l'UMP.)
M. Jean-Pierre
Chevènement. Monsieur le ministre
des affaires étrangères, j'ai eu l'occasion à plusieurs reprises
de vous exprimer, ainsi qu'au Président de la République, ma
préoccupation, et ce depuis le mois de juin 2012, quant à la
définition de notre politique à l'égard de la Syrie.
Dès le départ, cette politique, dont vous avez
d'ailleurs hérité, puisque notre ambassade à Damas avait
été fermée dès le mois de mars 2012, a été
dictée par l'émotion.
Plaçons-nous dans une logique de paix et non dans une
« logique de guerre », pour reprendre une expression
fameuse. Je n'exprime pas ici une préoccupation qui me serait propre. Elle
est aussi celle de Robert Hue et de plusieurs autres sénateurs du groupe
du RDSE.
L'exigence, avant une quelconque transition, du départ
d'Assad, déclaré assassin de son peuple, affaiblissait
évidemment toute démarche de négociation visant à faire
pression sur le régime de Damas.
En réalité, c'est la nature même de la guerre
engagée en Syrie qui faisait et fait encore problème. Tentons de nous
délivrer des manichéismes trompeurs ! C'est une guerre civile
et, plus que cela, une féroce guerre interconfessionnelle. Assad,
dictateur brutal, défend les prérogatives d'une minorité, celle
des alaouites, qu'il sait soutenus par d'autres minorités,
chrétiennes, par exemple, mais aussi par une fraction de la majorité
sunnite, qui a longtemps bénéficié de la stabilité des
courants d'affaires.
La seule issue de cette guerre civile barbare était et
reste une issue négociée entre les deux camps.
Les sunnites, ou du moins une majorité d'entre eux,
veulent l'effacement des alaouites. Ils doutent d'y réussir par la force
et comptent sur une intervention extérieure, à l'exemple de ce qui
s'est passé en Libye. Mais que savons-nous de la situation qui
prévaudra après la chute du régime de
Bachar Al-Assad ? Regardons ce qui se passe en Irak ! Encore
1 000 morts au mois de juillet à Bagdad. En Libye, les milices
tribales, le plus souvent islamistes, se sont rendues maîtresses du
terrain. Le port de Derna est aux mains d'Al-Qaïda, le Mali a
été déstabilisé. Sans l'intervention de la France dans le
cadre des résolutions de l'ONU, intervention que j'ai soutenue fortement,
le Mali serait aujourd'hui un sanctuaire de l'islamisme radical, dominé
par des groupes terroristes djihadistes.
Enfin, par l'interprétation qui a été faite en
Libye de la résolution 1973, la notion de
« responsabilité de protéger » a été
malheureusement discréditée aux yeux de la Russie et de la Chine,
mais aussi de la plupart des pays émergents, comme l'Inde, le Brésil
ou l'Algérie, qui refusent la notion
d'« ingérence », elle-même proscrite par la
Charte des Nations unies. L'occidentalisme peut se camoufler en
« droit-de-l'hommisme ». Celui-ci ignore ou, de
manière plus perverse, veut occulter les réalités et les choix
politiques.
Or la France doit d'autant plus se placer sur le terrain du
droit international qu'elle est elle-même l'un des cinq membres permanents
du Conseil de sécurité de l'ONU, qu'elle se veut une
« puissance repère », comme le Président de la
République et vous-même, monsieur le ministre, l'avez dit.
La résolution de 2005 votée par l'Assemblée
générale des Nations unies prévoit bien la responsabilité
de protéger, mais, et je vous renvoie au texte, « par
l'entremise du Conseil de sécurité, conformément à la
Charte, notamment son chapitre VII ». Ce dernier doit donc
donner son autorisation. Il n'existe pas de responsabilité de
protéger reconnue par l'ONU en dehors de ce cadre juridique. Voilà ce
que dit le droit !
Des frappes aériennes sur la Syrie ne pourraient ainsi
s'effectuer qu'en dehors du cadre de la légalité internationale. Un
homme d'État comme vous, monsieur le ministre, ne peut pas fonder une
intervention sur le principe du « on ne peut pas ne pas »,
même s'il sert à tous les gouvernements, principe en vertu duquel on
n'agit pas pour quelque chose, mais on agit parce que l'on ne peut pas faire
autrement ! Nous sommes bel et bien dans cette situation.
Vous essayez de vous raccrocher au droit, en vous
référant à la convention de 1925, passablement ancienne et
aujourd'hui dépassée, interdisant l'utilisation, en temps de guerre,
des armes chimiques, dont la Syrie, et pour cause – elle était alors
sous mandat français –, ne pouvait pas être partie prenante.
Quant à la convention plus récente sur l'interdiction des armes
chimiques, signée à Paris le 13 janvier 1993, vous savez
pertinemment que ni la Syrie, ni l'Égypte, ni d'ailleurs la Somalie ou le
Soudan du Sud ne l'ont signée. D'autres pays, notamment Israël et la
Birmanie, ne l'ont pas ratifiée.
Je le répète, la Syrie n'a pas signé cette
convention, pas plus que toutes les nations du monde n'ont signé le
traité sur la non-prolifération des armes nucléaires.
Vous évoquez la notion de « crime contre
l'humanité », mais j'observe que le Statut de Rome, portant
création de la Cour pénale internationale, définit celui-ci
très largement dans son article 7, mais ne mentionne pas
spécifiquement l'utilisation d'armes chimiques. Dans cette
définition, très générale, on peut naturellement ranger
l'utilisation d'armes chimiques. Mais quid des utilisateurs de bombes
à fragmentation ou de bombes au napalm, quid des pays qui refusent
de signer les conventions d'interdiction des armes chimiques,
bactériologiques, nucléaires, de ceux qui n'ont pas ratifié le
traité d'interdiction des essais nucléaires et de ceux qui
répriment par balles leur opposition ? Monsieur le ministre, ne
faudrait-il pas les punir, eux aussi ?
Punissons, punissons à tour de bras, et punissons tout le
monde ! C'est une logique, une logique morale définie par ceux qui
ont les moyens d'exercer des sanctions. Car on n'a jamais vu les faibles faire
la morale aux forts et les sanctionner. Cela n'existe pas !
Aussi bien, est-on sûr à 100 % de l'origine des
frappes ? J'observe simplement, en exerçant le doute méthodique
cher à Descartes, qu'un groupe extrémiste comme le Front Al-Nosra,
alimenté par des fournitures d'armes extérieures ou par des stocks
qu'il aurait pu détourner, aurait pu perpétrer ce crime abject pour
entraîner une intervention occidentale. Cette hypothèse n'a pas
été sérieusement examinée.
Je ne reviendrai pas sur les déclarations imprudentes du
Président Obama, qui ont provoqué, depuis une année, une
surenchère d'accusations, mais je pose la question : quel serait
l'intérêt du régime syrien, qui avait pris le dessus par des
moyens conventionnels, tout aussi barbares, d'ailleurs ?
La morale remplace le droit : ce n'est pas un
progrès, car seul le droit protège tous les pays, tandis que la
morale, d'où procède la sanction, est à l'appréciation des
plus forts. À mon avis, la France a intérêt, du point de vue de
l'esprit de défense, à ne pas confectionner un droit à sa
mesure, en marge du droit international reconnu par l'ONU.
M. le
président. Mon cher
collègue, il vous faut songer à conclure.
M. Jean-Pierre
Chevènement. Je vais conclure,
monsieur le ministre, parce que je sens que M. le président s'impatiente,
en espérant toutefois qu'il voudra bien permettre au dernier survivant des
acteurs du congrès d'Épinay d'achever son propos.
(Rires et applaudissements
sur certaines travées de l'UMP, de
l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
Quel est le cadrage politique, monsieur le ministre, quel est
l'objectif politique ?
L'opposition syrienne démocratique est divisée. La
guerre l'a marginalisée au profit de groupes extrémistes. Le cours
des révolutions arabes en Tunisie et plus encore en Égypte doit nous
rendre prudents. Quelle cohérence y a-t-il entre notre combat
justifié au Mali contre les groupes djihadistes armés et la
complaisance dont nous ferions preuve à l'égard de ces mêmes
groupes dans la guerre civile qui déchire la Syrie ?
La France doit soutenir partout non pas l'islamisme politique,
mais la démocratie, inséparable des valeurs républicaines, au
Mali, au Niger, en Libye, en Tunisie, en Égypte, en Syrie, en Arabie
saoudite, au Qatar, à Bahreïn, dans le respect du principe de
non-ingérence, bien sûr, et sous le contrôle du Conseil de
sécurité des Nations unies. Ce serait là le sens d'une
stratégie d'influence, dans le droit fil de la dernière
Conférence des ambassadeurs, que vous avez d'ailleurs très
brillamment conclue, je veux au passage vous en féliciter, monsieur le
ministre.
Quel effet des frappes américaines et françaises
auront-elles ? D'ores et déjà, la menace des frappes a
gonflé le flot des réfugiés aux frontières du Liban et de
la Jordanie. On ne pourra pas éviter les dommages collatéraux,
surtout si les stocks d'armes chimiques sont visés, comme je l'ai entendu
dire. C'est très grave ! Que se passera-t-il le jour
d'après ? D'autres frappes ? Sur la Syrie ? Ou sur
l'Iran ? Encore une fois, restons fidèles à Descartes et
traitons séparément des dossiers dont la solution doit rester
distincte – la Syrie, la Palestine, l'Iran.
La « fabrication d'un ennemi » est chose
facile. Elle sert rarement la cause de la paix.
J'ai entendu l'accusation de
« passivité ».
M. le
président. Veuillez conclure, mon
cher collègue.
M. Jean-Pierre
Chevènement. Je conclus, monsieur
le président !
Ce ne serait pas être passif que de faire pression pour
que l'opposition syrienne désigne ses représentants à la
conférence de Genève II, afin que celle-ci puisse se réunir
dans les prochaines semaines. Cette négociation peut se faire par des
rencontres bilatérales dans les couloirs du G20, à
Saint-Pétersbourg. Mais le G20 n'a pas vocation à remplacer le
Conseil de sécurité des Nations unies. C'est dans le cadre de
celui-ci que nous pouvons obtenir une trêve dans la guerre civile et un
compromis qui préserve l'unité de la Syrie. Sa balkanisation serait
la source de malheurs encore plus grands. Mettons un peu de cohérence dans
notre politique et défions-nous de l'occidentalisme.
La France ne se définit pas, comme le disait
M. Sarkozy, par son appartenance à la famille des nations
occidentales, elle appartient avant tout à la grande famille des nations
humaines. La Révolution de 1789 visait à l'universalité. La
France doit servir de pont entre toutes les nations et ne pas se couper des
pays dits « émergents ».
Le Président de la République souligne à juste
titre la nécessité de préserver notre souveraineté.
M. le
président. Cher collègue, je
vous prie de conclure. (Sourires
sur les travées de l'UMP et de
l'UDI-UC – Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre
Chevènement. Mais qu'en est-il,
dans la situation présente, de l'autonomie même de la France par
rapport aux États-Unis ? Où sont passés nos alliés
européens ? On les cherche !
(Marques d'impatience sur les travées
du groupe socialiste.)
M. le
président. Monsieur
Chevènement, il faut maintenant conclure !
M. Jean-Pierre
Chevènement. Monsieur le
ministre, il ne faut pas effacer la brillante réussite malienne, qui nous
doit beaucoup, par une erreur qui serait gravissime pour l'ensemble de notre
politique étrangère et pour nos intérêts dans le monde.
(Applaudissements
sur certaines travées du RDSE, de
l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du groupe CRC.)
M.
le président. La parole est
à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre
Vial. Monsieur le président,
monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les
ministres, mes chers collègues, en tant que président du groupe
d'amitié France-Syrie du Sénat, je me félicite que nous ayons ce
débat.
La France a choisi très tôt la reconnaissance de
l'opposition syrienne et, dès lors, l'équilibre de l'ensemble de la
région et les intérêts de notre pays ne peuvent laisser place
aux jeux partisans.
Lors des premières manifestations de ce qui allait devenir
le « printemps arabe », peu de chancelleries imaginaient un
soulèvement en Syrie et les analyses ne cesseront d'être
continuellement en décalage par rapport à une réalité qui
aura fini par déboucher sur un état de guerre civile.
La Syrie qui, certes, n'était pas l'exemple de la
démocratie avec la toute-puissance d'un parti Baath, parti socialiste,
laïc et nationaliste créé en 1953, avait su pourtant
préserver la liberté des minorités et de multiples populations
et religions en étant un des seuls États arabes a avoir inscrit la
laïcité dans sa constitution et à garantir un égal
accès aux fonctions publiques et privées.
Si les premiers soulèvements populaires et pacifiques
pouvaient laisser entrevoir et espérer une ouverture institutionnelle du
régime, très rapidement hélas ! la répression
enclenchera son processus inexorable d'escalade.
L'excuse des groupes radicaux, qui marqua le début du
processus répressif, devint hélas encore ! la réalité
d'une présence croissante de djihadistes et d'extrémistes qui ne
cessèrent de progresser, renforçant l'escalade et la
déstabilisation du pays, tout en concourant à l'affaiblissement des
mouvements d'opposition et à leurs difficultés à se donner la
légitimité et la force nécessaires.
Aux frontières de cette poudrière, Israël, de
façon constante, ne cessera de revendiquer le respect de son territoire et
d'affirmer sa ferme résolution à s'opposer à tout
débordement.
Le Liban, dont on connaît la situation particulière
avec la Syrie, verra son gouvernement adopter très rapidement une
position, qui a pu surprendre certains, consistant à considérer que
la situation syrienne était extérieure, comme pour dire qu'elle ne le
concernait pas : une façon de s'isoler par les mots et de ne pas
être entraîné dans un conflit, même si le Hezbollah a fini
par l'y amener.
À l'intérieur, les Kurdes, après avoir obtenu la
reconnaissance de droits réclamés depuis longtemps, engagèrent
une réaction vigoureuse contre les djihadistes qui tentaient de
s'installer sur leur territoire.
Sans aller plus loin dans la complexité, cette situation
n'est pas sans rappeler les propos du général de Gaulle qui, dès
1945, précisait : « L'Orient, dont fait partie la Syrie, se
trouve en présence de populations qui ont toujours constitué pour le
monde un problème très délicat. »
Oui, c'est dans ce contexte et dans une région au sujet de
laquelle le spécialiste du Moyen-Orient Antoine Sfeir a très tôt
évoqué le risque d'un nouveau conflit mondial pouvant résulter
d'une confrontation entre les chiites et les sunnites qu'il convient
d'apprécier la position de la France.
Si la non-intervention militaire de la France a été
rapidement affichée, elle doit être réaffirmée fortement,
au moment où le Parlement est saisi de la question de la réaction de
notre pays à l'usage des armes chimiques.
Au risque de surprendre, monsieur le ministre, et alors que je
suis fermement opposé à toute intervention militaire sur le sol
syrien, je le dis très clairement : une réaction immédiate
concertée et ferme à l'usage d'armes chimiques aurait eu mon
assentiment total. Oui, l'usage d'armes chimiques, par qui que ce soit, doit
être une ligne rouge.
Or force est de constater que le trouble grandissant de
l'opinion publique, comme des politiques, d'ailleurs, n'est pas sans lien avec
la confusion, les hésitations et le flou qui ont progressivement
entouré ce qui a été qualifié très tôt
d'« action coup de semonce ».
Comment se fait-il que, quelques mois après une
première alerte, qui aurait exigé d'ailleurs plus de transparence
déjà, la communauté internationale n'ait pas été
capable d'arrêter une position qui lui aurait permis d'agir
immédiatement et non de se discréditer dans des débats où
l'argument juridique devenait l'excuse à l'absence de décision en
semant le trouble dans une opinion déjà dubitative ?
Oui, la définition et les contours d'une doctrine
d'intervention nous auraient épargné les difficultés
rencontrées aujourd'hui et nous auraient permis de nous interroger sur
l'étape suivante.
Hélas ! la communauté internationale n'ayant pas
de doctrine, elle ne peut avoir de stratégie. Et, quand on n'a pas de
stratégie, on n'a pas prise sur les événements ; ce sont
les événements qui ont prise sur vous.
Voilà la question.
Je me garde bien de parler, en le regrettant d'ailleurs, du
silence assourdissant de l'Europe, elle qui avait pourtant laissé
entrevoir sa volonté de s'investir fortement sur les enjeux de la
Méditerranée.
Dès lors, faut-il aujourd'hui que le Parlement se prononce
par un vote ? Si la question pouvait se poser hier, la réponse
s'impose aujourd'hui : elle s'impose pour des questions tant d'ordre
juridique que d'ordre politique.
Au sujet du conflit de 2003, qui est devenu pour l'opinion le
syndrome irakien du mensonge d'État, François Hollande, à
l'époque, réclamait à l'Assemblée nationale un vote par
respect « de la primauté du droit » et du
« rôle des Nations unies ».
Comment pourrait-on priver le Parlement de l'expression de ce
droit, alors qu'aujourd'hui nous nous trouvons privés du soutien des
Nations unies, que les deux principales puissances occidentales, les
États-Unis et la Grande-Bretagne, se sont engagées à saisir leur
parlement et que le premier ministre canadien vient de faire savoir que son
pays n'entendait pas participer à une telle frappe militaire ?
Or c'est bien le sens de l'article 50–1 de la
Constitution, qui précise très clairement que le Gouvernement
« peut, de sa propre initiative […], faire, sur un sujet
déterminé, une déclaration qui donne lieu à débat et
peut, s'il le désire, faire l'objet d'un vote sans engager sa
responsabilité ».
Il va sans dire que la France ne peut agir seule, mais la
coalition, dont on parle de plus en plus, est-elle davantage une garantie ?
Quelle est la cohérence, monsieur le ministre, entre le
Canada, qui a dit très tôt ne pas vouloir intervenir militairement,
et la Turquie, pour qui la frappe correspond de toute évidence à une
notion bien différente puisque, pour le chef du gouvernement turc, cette
frappe doit être conduite de façon ferme et résolue avec pour
seul objectif la chute de Bachar Al-Assad ?
Mais ce vote s'impose davantage encore pour des raisons
politiques.
Si l'origine des tirs semblent aujourd'hui se confirmer, force
est de constater que, lorsque la mission des Nations unies rendra ses
conclusions, les frappes, qui devaient être dissuasives, vont devenir des
frappes aléatoires sur des objectifs incertains et perdre leur effet
militaire pour devenir un risque politique.
Hier, le coup de semonce devait être un
avertissement ; aujourd'hui, le coup de semonce risque de devenir une
déclaration de guerre.
Oui, monsieur le ministre, le risque de cette réaction est
aujourd'hui trop grand pour qu'il n'y ait pas l'expression du vote du
Parlement, face à une population nationale qui s'interroge et à une
population syrienne qui exprime également de plus en plus son
inquiétude devant une telle initiative.
Puis-je d'ailleurs souligner que, à ce jour, plus de
12 000 ressortissants français continuent de vivre en Syrie et
nous écoutent avec l'attention que vous imaginez ?
Bien évidemment, monsieur le ministre, je ne vous poserai
pas la question sur l'Irak : combien y a-t-il eu de morts avant
l'intervention, combien de morts pendant l'intervention et combien de morts
depuis ?
Or, monsieur le ministre, nos concitoyens se posent cette
question.
Est-ce la voie du renoncement ? Non. Nos amis syriens
nous disent : « Soit vous n'avez rien à dire, et vous vous
taisez, soit vous avez quelque chose à dire, et vous
l'assumez ! »
Deux messages nous sont ici adressés.
Le premier message est humanitaire : c'est d'abord la
nécessité impérieuse d'une aide massive et urgente, sur le plan
humanitaire et sanitaire, en faveur des populations déplacées ou
réfugiées qui, selon le Haut-Commissaire de l'ONU, seraient
passées en un an de 230 000 à 2 millions, dont plus de la
moitié d'enfants.
La Syrie est un pays en ruine, avec une économie
anéantie, un patrimoine historique et archéologique dévasté.
Nous sommes à quelques semaines de l'hiver dans une
région, monsieur le ministre, où le climat est rigoureux. La
communauté internationale ne peut pas laisser des centaines de milliers de
Syriens démunis.
Cette question humanitaire est tout autant brûlante en ce
qui concerne l'afflux des réfugiés syriens, qui peut devenir un
facteur de déstabilisation des pays voisins. Nous pensons tous au Liban et
à la Jordanie.
Le second message est politique : il y a quelques jours,
le Président de la République affirmait que l'action de la France ne
pouvait pas consister, dans un premier temps, à chasser Bachar Al-Assad.
Recevant le chef de la coalition nationale syrienne, il précisait :
« Tout doit être fait pour une solution politique, mais elle ne
le deviendra que si la coalition de l'opposition est capable d'apparaître
comme une alternative avec la force nécessaire. »
Oui, après plus de deux ans et demi de conflit, le moment
est venu pour que toutes les grandes puissances, dont la France, usent de leur
vraie capacité pour imposer à toutes les parties syriennes de se
rencontrer.
Le moment n'est plus à poser comme préalable les
questions qui doivent être l'objet même des discussions et de la
reconstruction de la Syrie.
Oui, si les morts des armes chimiques demandent justice, les
100 000 morts et plus demandent tout autant de ne pas être morts
pour rien. C'est un appel qui doit être entendu avant tout par la
communauté internationale.
Permettez-moi, pour conclure, de rappeler cette règle de
la médecine de la Méditerranée d'il y a plus de
2 000 ans, qui serait l'expression d'Hippocrate :
« Être sûr avant d'agir de ne pas nuire par son
intervention. »
(Applaudissements sur les travées de
l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Jean-Pierre Chevènement
applaudit également.)
M. le
président. La parole est à
M. le président de la commission.
M. Jean-Louis
Carrère,
président
de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre des
affaires étrangères, cher Laurent Fabius, mesdames, messieurs les
ministres, mes chers collègues, intervenir ou ne pas intervenir, là
est la question d'importance.
M. Jean-Jacques
Hyest. Eh oui !
M. Jean-Louis
Carrère,
président
de la commission des affaires étrangères. La question est
facile à poser, la réponse est plus difficile à formuler. Et
nous sommes précisément ici pour en débattre et en
délibérer.
Aujourd'hui, mes chers collègues, chaque groupe a pu
exprimer publiquement son point de vue. Hier, les membres de la commission des
affaires étrangères et de la défense, que j'ai l'honneur de
présider, ont pu assister à une présentation à
huis clos par le ministre de la défense des éléments
probants déclassifiés et classifiés.
J'ai pensé qu'il était tout à fait légitime
que ces parlementaires accèdent à cette connaissance.
Chacun a pu s'exprimer librement, dans un débat sans
formalisme qui a renoué, me semble-t-il, avec la meilleure tradition
parlementaire.
Nous avons donc pu peser et soupeser les arguments. Oui, mes
chers collègues, délibérer, c'est savoir, mais
délibérer, c'est aussi choisir.
Alors, rationnellement, cher Jean-Pierre Chevènement,
c'est-à-dire animés pas le doute méthodique, que
savons-nous ? Que savons-nous ne pas savoir ? Et que devons-nous
décider ?
Afin d'apporter une réponse, qui sera une réponse
personnelle, j'ordonnerai brièvement mes idées autour de sept
séries de considérations.
Premièrement, nous savons que des armes chimiques ont
été utilisées, de façon massive, le 21 août
dernier. Il n'y a aucun doute là-dessus. S'agit-il de gaz sarin, de
gaz VX, d'ypérite ou, plus vraisemblablement, d'un mélange que
d'aucuns appellent « cocktail » ? Nous ne le savons
pas. Cela demande des analyses très poussées qui seront
effectuées sur les échantillons ramenés par les experts de l'ONU
et dont les résultats ne seront connus que dans quinze jours, au mieux.
Qui a donné l'ordre ? Nous n'avons aucune preuve
formelle, et je crains qu'il n'y en ait jamais. Du reste, c'est quoi, une
preuve formelle ? L'ordre écrit de M. Al-Assad ?
Certes, on pourrait envisager une manipulation de l'opposition,
car le drame du marché de Sarajevo est encore dans bien des mémoires.
Mais, en réalité, tout désigne le régime. Car c'est bien le
régime des Assad – le père comme le fils – qui
a fait fabriquer ces armes. C'est encore le régime des Assad qui les a
stockées et militarisées. Et c'est toujours le régime des Assad
qui a refusé de signer, en 1993, la convention internationale sur les
armes chimiques, preuve s'il en est qu'il s'autorisait leur utilisation.
Quant à celle de 1925, cher Jean-Pierre Chevènement,
ils l'ont signée, beaucoup plus tard, en 1968.
Cela, mes chers collègues, ce ne sont pas des
supputations, ce sont des certitudes, comme sont des certitudes désormais
parfaitement établies : premièrement, le fait que ce
bombardement était massif et donc supposait la détention d'une grande
quantité de composants chimiques ; deuxièmement, le fait qu'il
exigeait une haute technicité, un entraînement et une chaîne de
commandement hors de portée des forces d'opposition ;
troisièmement, le fait qu'il visait des zones tenues par les opposants et
occupées uniquement par des civils.
Deuxième série de réflexions : cette
utilisation des armes chimiques n'est que le dernier épisode d'une guerre
civile qui a déjà fait plus de cent dix mille morts et deux millions
de réfugiés. Cela fait deux ans et demi qu'en Syrie l'on massacre,
l'on tue, l'on bombarde sans distinction femmes, enfants, vieillards, malades,
civils et militaires.
Mes chers collègues, les mots sont impuissants à
décrire cet enfer, tant les images sont insoutenables.
C'est une guerre civile de la pire des espèces, car elle
est aussi une guerre de religion. Et nous Français, et nous habitants du
Sud-Ouest, sommes bien placés pour savoir que ce sont les plus terribles
et les plus longues. Il est donc peu probable qu'elle cesse rapidement.
Il faudrait certainement que le Conseil de sécurité
de l'ONU intervienne ou puisse aller vers une intervention sur la base du
chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Or nous savons, et c'est mon troisième point, que le
Conseil des Nations unies ne prendra aucune décision. La Russie et la
Chine, pour ne pas les nommer, ne le veulent pas, car ces pays ne veulent pas
admettre l'existence d'un droit d'ingérence humanitaire. Et c'est bien de
cela qu'il s'agit ici : quel principe doit primer ? Devons-nous
admettre qu'au nom de la souveraineté des nations les gouvernants sont
autorisés à massacrer leurs populations ? Ou bien devons-nous
essayer de faire prévaloir la responsabilité de protéger les
populations civiles menacées par des satrapes sanguinaires ?
Je vous pose la question : combien de centaines de
milliers de morts supplémentaires faudra-t-il pour que l'on fasse quelque
chose ? Que répondrons-nous aux générations futures ?
Jusqu'à quand et jusqu'où serons-nous des spectateurs
interdits ? Devons-nous attendre qu'il y ait cinq cent mille morts pour en
reparler ? Non évidemment. À mon sens, il faut agir, mais agir
dans quel but ?
Précisément, c'est mon quatrième point, nous
savons que Bachar Al-Assad est un dictateur dangereux et sanguinaire, mais nous
savons aussi qu'une partie de ses opposants ne valent guère mieux.
Certains sont des fondamentalistes proches d'Al-Qaïda. Autant dire que ce
ne sont des amis ni de l'Occident ni de ses valeurs.
Donc, le but de notre action ne peut être de vouloir faire
tomber le régime. Il s'agit de donner un coup d'arrêt aux violences
perpétrées par ce régime en réduisant sa capacité de
nuisance et, ce faisant, montrer à tous les régimes dictatoriaux
qu'ils ne peuvent utiliser des armes de destruction massive impunément.
Mes chers collègues, il n'y aura pas de solution politique
au conflit tant que les partisans du régime accepteront d'avoir un
criminel de guerre à leur tête, qui avilit le nom même de la
Syrie.
Alors, proposons un début de solution politique. Oui,
créons une espérance européenne à côté des
grandes puissances, avec la Russie. Proposons, comme l'a suggéré le
ministre des affaires étrangères russe, la constitution d'un
gouvernement de transition. Mais, chacun le comprend, ce gouvernement de
transition ne pourra se constituer qu'en dehors de la tutelle de Bachar
Al-Assad.
Cinquièmement, quelle sera la réaction de la Syrie et
de ses principaux alliés, le Hezbollah et l'Iran ? Personne ne le
sait, mais on peut l'imaginer sans peine, et donc s'y préparer. Je crois
être autorisé à vous dire que le gouvernement français l'a
fait et est en train de peaufiner cette préparation.
Sixièmement, qu'ont décidé nos
alliés ?
Le Royaume-Uni a fait son choix, et il faut le respecter. Il
nous faut aussi en comprendre les raisons. Pour moi, il ne fait guère de
doute que David Cameron a dû régler la facture impayée par Tony
Blair et George Bush. Je le dis sans détour. Mais ce n'est pas parce que
l'on nous a menti en 2003, cher Jean-Pierre Raffarin, que l'on nous ment en
2013.
Quant au Président des États-Unis, il a fait son
choix, et ce choix sera vraisemblablement confirmé par le Congrès
dans les jours qui viennent.
La Ligue arabe a demandé une intervention, et je ne doute
pas que ses membres sauront prendre leurs responsabilités
– même si je les sais divisés –, de même
que la Turquie.
Bien évidemment, la France n'est pas seule ; elle
n'ira pas seule. Le pourrait-elle ? Peut-être, mais elle ne doit pas
le faire, car il faut un minimum de consensus pour forger la
légitimité internationale.
Dernier point : que devons-nous faire ? Dans le
doute, dans la confusion, dans l'incertitude, la première des choses
à faire est de rester unis. J'apprécie que certains avant moi l'aient
proposé. C'est tout le sens de mon engagement depuis que j'ai
été élu à la présidence de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées du
Sénat. C'était aussi celui de mon prédécesseur, Josselin de
Rohan. Je ferai tout pour préserver notre unité, dans la tradition
sénatoriale.
Cherchons donc ensemble, dans les traits fondamentaux qui
dessinent notre identité, dans le fonds et le tréfonds de notre
histoire, les réponses que nous dictent notre conscience et notre raison.
Pour ce qui me concerne, ce que me disent et mon cœur et mon cerveau est
sans ambiguïté : on ne peut pas laisser gazer des hommes, des
femmes et des enfants, sans rien faire.
On ne peut pas laisser, sans rien faire, un dictateur semer la
terreur, répandre la désolation et massacrer sa population.
Que répondrons-nous à nos enfants et à tous ceux
qui nous diront demain : vous saviez, vous pouviez et vous n'avez rien
fait ? On nous dit qu'il ne faut pas répéter les erreurs du
passé. C'est bien vrai. Alors ne répétons pas l'erreur du Rwanda
et ne laissons pas commettre impunément des massacres. Il faut que cela
cesse, mes chers amis ! Il faut que cela cesse maintenant !
Entre agir sans savoir et savoir sans agir, je prends
résolument le parti d'agir.
En effet, si nous intervenons en Syrie, c'est d'abord et avant
tout dans l'intérêt du peuple syrien et pour des raisons
éminemment humanitaires. Mais c'est aussi, mes chers collègues, et
j'y tiens par-dessus tout, pour nous-mêmes, pour ce qui fait notre
humanité, nos valeurs, et qui fait que nous sommes fiers d'être
Français !
Entre mon confort et mon honneur, j'ai choisi mon honneur. Je
soutiendrai donc l'intervention que décidera le Président de la
République !
(Applaudissements
sur les travées du groupe socialiste
et du groupe écologiste.)
M.
le président. La parole est
à M. le ministre.
M.
Laurent Fabius,
ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais
d'abord remercier tous ceux qui sont intervenus, quelle que soit leur
position : Jean-Michel Baylet, André Gattolin, Philippe Adnot,
Jean-Pierre Raffarin, François Rebsamen, Pierre Laurent, Jean-Marie
Bockel, Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Vial et, à l'instant, le
président Jean-Louis Carrère.
Je les remercie, non seulement parce qu'ils ont
élaboré des réponses, pris en considération les arguments,
mais aussi, personne ne le contestera, parce que le climat de nos débats
est empreint de gravité, de sérieux, d'écoute de l'autre. Cela
est extrêmement important sur un sujet comme celui-ci, car si, en
définitive, il faut choisir – vous l'avez dit fort bien,
monsieur le président de la commission, nous ne sommes pas des
commentateurs, des journalistes libres d'écrire ce qu'ils veulent, ni
même des citoyens pouvant interpréter la situation comme ils
l'entendent –, nous devons regarder les deux côtés
– il y a deux colonnes –, mais à la différence
de beaucoup, – c'est cela notre responsabilité
politique – nous devons faire un trait en bas des deux colonnes et
décider dans un sens ou dans un autre.
À cet égard, il est juste de dire qu'aucune solution
n'est parfaite. C'est peut-être le propre de la décision politique.
Mais la décision politique supérieure, c'est lorsqu'il y existe, pour
chaque solution, des inconvénients et des avantages. Il faut faire la
balance, qui est très délicate et dépend de la grille d'analyse,
de la réflexion de celui qui la fait.
Cela s'applique particulièrement dans une situation aussi
complexe que celle de la Syrie aujourd'hui.
Avant de répondre précisément aux orateurs, je
voudrais ajouter deux messages qui, j'en suis sûr, seront partagés
par beaucoup.
Nous discutons, c'est le propre de notre démocratie. Vos
collègues députés le font aussi au même instant. Mais il ne
faut jamais perdre de vue qu'il y a d'abord les hommes et les femmes en Syrie
et dans les territoires autour, et qu'ils ne sont pas du tout indifférents
à nos débats.
Un orateur a dit qu'il avait visité les camps. Je l'ai
fait aussi, comme plusieurs d'entre vous. C'est une émotion terrible de
voir les images que vous avez vues : des enfants morts dans des linceuls
de fortune. Nous avons tous ressenti cette émotion, cette indignation, et
il faut en tenir compte. Mais, dans le même temps, nous devons aller plus
loin, réfléchir.
Je pense à ces Syriens, en particulier à ceux que
nous avons vus dans les camps. Le camp qui m'a peut-être le plus
touché est le camp de Zaatari, que certains d'entre vous connaissent sans
doute. Le nombre de réfugiés dans ce camp, qui était à
l'origine de 10 000, est aujourd'hui de 130 000 ; ils sont dans
le désert, sans rien.
Il faut écouter ce que nous disent les Syriens
– ce sont des Syriens qui sont partis –, et ne pas
être portés uniquement par l'émotion. Ainsi, au moment de
prendre notre position, et même s'il faut faire la part de l'émotion
et du raisonnement, les choses vont tout de même dans un certain sens.
Je n'ai entendu aucune de ces femmes ou aucun de ces hommes
dire autre chose que : « Venez à notre
secours ! » Leurs propos sont souvent beaucoup plus forts, et
vous le savez.
Je voudrais dire un mot – ce pourrait être un
long débat – sur ce qui nous rassemble aussi
certainement : l'aspect humanitaire. D'ailleurs, un lien existe entre mes
propos précédents et ceux-ci.
Une action humanitaire est menée, et une action
humanitaire est à mener, car, plusieurs d'entre vous l'ont dit, les
comptabilités macabres du Haut Commissaire Guterres sont malheureusement
exactes. C'est le plus grand drame humanitaire depuis le début du
siècle, et même depuis plus longtemps !
En plus des solutions que nous devons apporter à la cause,
il faut que nous nous impliquions toujours davantage pour apporter un soutien
aux populations victimes de ces drames humanitaires.
De ce point de vue, l'un d'entre vous a évoqué la
question des couloirs humanitaires, des zones d'exclusion, etc. Ce sont des
sujets qui ont bien sûr été examinés, et on ne peut pas
lancer cette « solution » sans en étudier les
conséquences. Nous souhaiterions évidemment tous que cela puisse
être installé.
Prenons l'exemple de la zone d'exclusion. D'après les
examens des militaires, une telle zone requerrait, en troupes au sol
– il n'est pas question d'installer ces éléments
d'exclusion sans qu'il y ait des éléments au sol –, en
artillerie et autres, six fois ce qui a été déployé pour la
nuit.
Dans le contexte géographique qui est celui de la Syrie,
la communauté internationale a malheureusement jugé que, pour
l'heure, cette solution n'était pas possible. C'est un
crève-cœur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai regroupé en
sept ou huit points les principaux éléments de vos interventions
auxquels je répondrai brièvement.
Tout d'abord, en reprenant ce que de nombreux orateurs ont dit,
je souligne qu'il y a, au total, peu de contestations sur les faits. Bien
sûr, plusieurs d'entre vous considèrent qu'il faut attendre la remise
des travaux des inspecteurs. Reste le constat global, qui est très
important. En effet, lorsqu'on regarde le concert international, ce qui retient
ou empêche de très grands pays – je pense à la Russie
ou la Chine – de permettre une réaction, c'est la contestation
des faits. Il y a quelques heures encore, le président Poutine a
déclaré que, si les faits étaient avérés, il
n'excluait pas, non seulement de soutenir une action contre le régime
syrien, mais de la soutenir militairement.
M.
Jean-Louis Carrère,
président
de la commission des affaires étrangères. Oui, mais qui va
apporter la preuve ?
M.
Laurent Fabius,
ministre.
Cela étant, je constate, en la matière, une différence de
perception très forte.
Des éléments nous ont été apportés,
non par des agents de l'extérieur mais par nos propres services, qui
– un orateur l'a très justement rappelé –, lors
de l'affaire d'Irak, ne se sont pas trompés ! Je reviendrai sur la
comparaison avec l'Irak, au sujet de laquelle il y a beaucoup à dire. De
plus, nous disposons de nombreux éléments de conviction.
Certains répliquent, ce que je comprends tout à
fait : « D'accord, nous ne mettons pas en cause ce qu'affirment
les services de renseignement, d'autant qu'il y a une logique à tout cela,
mais il faudrait attendre le rapport des inspecteurs. »
Cette solution pose problème face aux nécessités
du terrain. Dimanche dernier, je me suis encore entretenu avec le
secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon. Je lui ai
demandé des précisions sur deux points.
Premièrement, quand pourrons-nous disposer des
éléments qu'ont rapportés les inspecteurs ? Il m'a
répondu : « C'est compliqué, des examens en
laboratoire sont nécessaires. Un délai de trois semaines sera
peut-être nécessaire. » (M. Alain Gournac
s'exclame.) Je le répète, cette conversation a eu lieu
dimanche !
Deuxièmement, je lui ai posé cette question que
chacune et chacun d'entre vous lui aurait soumise : les inspecteurs ont
achevé leur mission vendredi soir, ils se sont penchés sur la
matérialité des faits. Mais vont-ils étudier ce que les
spécialistes nomment, en termes techniques, l'imputabilité,
c'est-à-dire déterminer qui a commis ces faits ? La réponse
a été non.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne suis, pas plus
que vous, spécialiste en la matière. Serait-il possible, dès
lors que le constat aura été massif, d'en tirer des conclusions sur
l'auteur des faits ? Nous l'espérons tous, mais là n'est pas la
mission des inspecteurs. Dire cela, ce n'est pas faire du juridisme.
Il s'agit d'une question très importante. À mon sens,
il est difficile de conditionner la décision qui devra être prise
à des éléments que les intéressés eux-mêmes
affirment ne pas nous fournir.
M.
Jean-Louis Carrère,
président
de la commission des affaires étrangères. Bien sûr !
M.
Laurent Fabius,
ministre.
Je ne voudrais pas que la France et la communauté internationale tout
entière se fourvoient sur ce point.
Ensuite, j'évoquerai la question dite des extrémistes
de l'opposition et la réalité syrienne.
M. Vial nous a donné des indications parfaitement
pertinentes quant à la difficulté de cerner ces extrémistes,
compte tenu notamment de leur diversité.
Bien sûr, la Syrie est composite. Il y a, d'un
côté, le dictateur, qui est soutenu – il faut le
reconnaître – par une grande partie de la communauté
alaouite. Celle-ci craint, s'il n'était plus là, d'être victime
des extrémistes de l'opposition. Il est également soutenu par un
certain nombre de communautés, notamment les communautés
chrétiennes et d'autres encore. Elles n'éprouvent aucun enthousiasme
pour M. Bachar Al-Assad, mais elles redoutent que les extrémistes,
qu'elles appellent « le grand djihad », ne prennent le
dessus. Dans ce cas, disent-elles, elles seront balayées, et même
« liquidées ». Cette réalité existe.
Par ailleurs, compte tenu des exactions épouvantables de
M. Bachar Al-Assad, il y a des éléments extrémistes, qui
ont crû au fil du temps. On distingue essentiellement deux mouvements,
l'un qui se rattache à l'Irak et l'autre à Al-Nosra. Ils sont
très minoritaires, mais ils existent et commettent eux aussi des
exactions.
Si nous ne voulons pas – pour employer, à mon
tour, une formule qui est très juste – être placés
face à une alternative entre dictature laïque et dictature
religieuse, notre choix – c'est celui de la politique et de la
diplomatie françaises depuis le début –, est de
dire : « Bien sûr, ce sont les Syriens qui vont
décider, mais nous devons essayer de soutenir l'opposition
modérée, l'opposition démocratique, qui est
représentée par la coalition nationale syrienne. »
Certains orateurs demandent : « Où est la
diplomatie ? » Or, depuis le début, nous sommes les
premiers à dire : réunion des Amis du peuple syrien, à
Paris ! Reconnaissance de la coalition nationale syrienne à
Paris ! Aide humanitaire par Paris ! Parmi ceux qui suivent ce
dossier, au plan international ou national, nul ne contestera que la France,
sans sortir de son rôle, a émis un choix. Puisque,
précisément, nous ne voulons pas avoir à choisir entre la
dictature d'un côté et la dictature de l'autre, nous avons
essayé d'être conséquents et de soutenir, avec les moyens qui
sont les nôtres et en entraînant d'autres pays, cette opposition
démocratique.
Là est précisément le lien à la question
dont nous sommes saisis : s'il n'y a pas de sanction – je
préfère ce mot à celui de punition,…
M.
Jean-Louis Carrère,
président
de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M.
Laurent Fabius,
ministre. … qui,
comme l'a rappelé M. Chevènement, a, dans son acception
habituelle, une dimension morale ; on pourrait longuement disserter sur la
morale et le droit, et M. Chevènement pourrait opposer sa
connaissance intime de Descartes à mes quelques souvenirs –,
s'il apparaît donc que le dictateur peut continuer à agir en toute
impunité, la population syrienne ne pourra évidemment pas l'accepter.
Elle risque alors de se tourner vers ceux qui soutiennent que la seule
solution, c'est le massacre inverse.
Nous ne voulons pas cela. Tous ceux qui souhaitent une Syrie
aussi démocratique que possible et rassemblée ne peuvent pas vouloir
cela. Cela n'irait pas dans le bon sens. Descartes, à cet égard, peut
être contesté : s'il a pu dire que le bon sens était la
chose du monde la mieux partagée, nous savons tous que, de temps à
autre, il faut prendre un peu de recul par rapport aux réalités.
(M. Jean-Pierre Chevènement acquiesce.) C'est ce que font
toutes celles et tous ceux qui sont aujourd'hui présents dans cet
hémicycle.
La sanction n'est pas en contradiction avec la négociation
politique, elle en est la condition. En effet, comme M. Carrère et
beaucoup d'autres l'ont dit, au nom de quoi peut-on penser que le dictateur
Bachar Al-Assad reverra sa position et se rendra à la table des
négociations si aucune sanction ne répond aux exactions abominables
qui ont été commises ?
En outre, concernant l'Irak, je souligne que comparaison n'est
pas raison. Nous nous accordons tous à saluer la décision prise
à l'époque par Jacques Chirac, qui était d'ailleurs en pleine
conformité avec la position suggérée, auparavant, par notre
propre formation politique. Il n'y a donc pas de débat sur ce point.
Toutefois, si l'on compare l'Irak et la Syrie, il faut rappeler qu'en Irak il
n'y avait pas d'armes de destruction massive et qu'il y a eu une intervention,
ce qui était une grave faute.
M.
Jean-Claude Frécon. Eh oui !
M.
Laurent Fabius,
ministre.
A contrario, en Syrie, il y a des armes chimiques, qui ont
été massivement utilisées, et c'est le fait de ne pas agir qui
serait une grave faute !
M.
Jean-Louis Carrère,
président
de la commission des affaires étrangères. Nous sommes
d'accord !
M.
Laurent Fabius,
ministre.
C'est en ces termes que le problème se pose.
À mes yeux, il faut avoir toutes ces données à
l'esprit, tirer les leçons de l'histoire et ne pas faire un parallèle
qui ne serait pas exact.
Cela étant, l'exemple irakien est également
intéressant d'un autre point de vue. Sur ce plan, nous nous retrouvons
avec les Russes, avec lesquels nous parlons. Je rencontrerai, demain, mon
homologue Lavrov à Saint-Pétersbourg. Je retournerai d'ailleurs en
Russie la semaine suivante, car nous avons divers dossiers à traiter.
M. Jean-Pierre Chevènement a du reste accompli un travail tout à
fait remarquable pour tenter de développer, sur le plan économique,
les relations franco-russes.
Concernant la Syrie, les Russes et nous nous rejoignons sur un
point, même si nous n'en tirons pas pour le moment les mêmes
conclusions. Lorsque nous leur demandons pourquoi ils soutiennent le
régime syrien, les Russes nous répondent : nous n'avons pas
d'affection particulière pour M. Bachar Al-Assad, mais nous voulons
éviter le chaos. Nous sommes parfaitement d'accord ! Sauf que le
chaos, c'est aujourd'hui !
Allons un peu plus loin : bien sûr, ce sont les
Syriens qui décident, mais quelle est la grande difficulté ? On
le comprend bien, il n'y a pas d'avenir pour une Syrie démocratique avec
M. Bachar Al-Assad. Mais il faut que, parallèlement à son
remplacement, une solution soit déterminée, qui ne signifie pas la
destruction de toute une série d'éléments qui servent de piliers
au régime. Sinon, nous nous trouverons face à la solution irakienne,
qui n'en est pas une ! En Irak, l'intervention a abouti à des
catastrophes. Comme un orateur l'a souligné, les morts s'y accumulent
chaque jour, et, aujourd'hui, la situation y est épouvantable.
Toutefois, nous divergeons avec nos collègues russes
– pour le moment en tout cas –, sur le constat
suivant : à nos yeux, si la situation actuelle perdure, s'il n'y a
pas de négociation, la Syrie sera prise entre deux extrémismes, et
elle explosera, y compris sur le plan géographique.
Si l'on est de bonne volonté, il faut donc que l'on puisse
bâtir ensemble une solution, dans le cadre de laquelle M. Bachar
Al-Assad sera, nous l'espérons, affecté à d'autres tâches,
où les Alaouites n'auront pas à craindre d'être détruits,
où les communautés minoritaires – chrétiennes ou
autres – seront protégées, où les sunnites et les
Kurdes seront respectés, et où la Syrie restera aussi unitaire que
possible. C'est une grande tâche, c'est un grand rêve, mais c'est
cela notre objectif. Je le souligne en réponse aux interrogations portant
sur l'objectif de notre diplomatie.
La question de la légalité est très
compliquée et très difficile. Elle a donné lieu à des
échanges. Il est parfaitement exact que, dans la rigueur des textes, dont
la France se fait le défenseur, une intervention doit être
organisée dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations
unies. C'est là une position constante de la France.
Cela étant, nous sommes placés face à une
situation d'impossibilité. Pourquoi ? Parce que le massacre commis
viole le droit de la guerre lui-même – c'est, en tout cas, la
position du gouvernement français.
Évidemment, on rétorquera : un mort, c'est un
mort. Mais il s'agit là d'une exaction qui, à ce jour, est totalement
interdite internationalement.
Il existe un droit de la guerre. Certes, le bon sens conduit
à considérer que c'est la guerre elle-même qui est hors la loi.
Mais il existe des éléments si graves, si gravissimes que l'ensemble
de la communauté internationale les a mis hors la loi. Il s'agit d'un
domaine étroit, dont les armes chimiques font partie. Bachar Al-Assad a
employé ces dernières. Il faut donc réagir : c'est un
impératif.
Parallèlement, il faudrait normalement passer par le
Conseil de sécurité. Or on sait que c'est impossible, puisque la
Chine et la Russie disent non. Ce n'est pas un refus théorique : ces
deux pays ont opposé par trois fois leur veto !
Ces deux propositions sont donc de sens exactement contraires.
D'un côté, il faut absolument réagir, sous peine
d'emporter toutes les conséquences déjà
énumérées ; de l'autre, si l'on passe par le
chapitre VII de la Charte des Nations unies, c'est impossible.
Nous pourrions dire : « C'est compliqué,
nous verrons cela dans quelques années ». Non ! En nous
appuyant sur une lecture du protocole de 1925, sur la définition du crime
contre l'humanité et sur d'autres éléments, en tenant compte de
la situation – nous voudrions la modifier, cependant, même si
la France est une grande puissance, il n'est pas en notre pouvoir d'ordonner
aux Russes et aux Chinois de changer d'avis –, nous disons que pour
respecter la loi internationale telle qu'elle est définie en matière
d'armes chimiques il peut exister, sauf si ces puissances modifient leur
position – ce qui serait souhaitable – une disposition
d'exception, et nous le regrettons. Nous ne voulons évidemment pas que
cela constitue un précédent. Je ne vais pas chercher une
interprétation qui serait juridiquement erronée.
J'en arrive à la question négociation-guerre.
Plusieurs d'entre nous, notamment MM. Pierre Laurent et Jean-Pierre
Chevènement, ont évoqué la guerre, la guerre, la guerre !
Je n'ai pas recensé le nombre de fois où ils ont employé ce mot
dans leurs interventions.
Si l'on veut avoir une discussion qui permette d'avancer, il ne
faut pas travestir la position que l'on veut combattre. Il n'y a pas d'un
côté ceux qui veulent la guerre, soit beaucoup d'entre vous et le
Gouvernement, et, de l'autre, ceux qui demandent une négociation
internationale afin d'arriver à la solution. Non !
Tout d'abord, même si tout cela est très
délicat, nous souhaitons une sanction ciblée. Lorsque le
Président de la République s'exprimera, il dira ce qu'il souhaite,
mais il est clair pour nous, expressis verbis,
qu'il n'y aura pas de troupes au sol. Il s'agit donc bien d'une sanction et
d'une dissuasion par rapport à un acte précis commis en matière
d'armes chimiques.
Ensuite, la négociation, tout le monde est pour. Mais le
problème, c'est de l'engager et qu'elle réussisse. Nous ne cessons de
plaider pour cela. Mon cher ami Pierre Laurent, au bas de
« Genève I » figure la signature de Laurent
Fabius. C'est moi qui tenais la plume. Alors que l'on ne me dise pas
aujourd'hui que nous avons été contre Genève I !
Mme
Éliane Assassi. Mais
justement !
M.
Pierre Laurent. Demandons
l'application de Genève I !
M.
Laurent Fabius,
ministre.
Il y avait alors autour de nous le Russe, l'Américaine, c'était une
femme à l'époque, le Britannique, etc. Mais aucun Français,
ensuite, n'a dit refuser Genève I !
Concernant « Genève II », je
tiens à dire aux sénateurs et aux sénatrices, de sorte que nous
discutions de faits précis, qu'il s'agit d'une initiative des Russes et
des Américains, menée avec notre approbation, visant un objectif bien
précis : réunir à Genève un certain nombre de parties
avec pour objet « la constitution par consensus d'un gouvernement de
transition qui disposera de la totalité du pouvoir
exécutif ».
Cela signifie qu'à l'époque où
Genève II a été proposée, et alors que M. Bachar
Al-Assad était peut-être moins flamboyant que ces dernières
semaines, son but était de réunir, par consentement des deux parties,
c'est-à-dire, d'une part, l'opposition et, d'autre part, Bachar Al-Assad,
un groupe de travail visant à mettre sur pied un gouvernement de
transition auquel seraient transférés les pouvoirs de M. Bachar
Al-Assad.
Croyez-vous, cher ami, que dans les circonstances actuelles,
M. Bachar Al-Assad enverrait ses représentants à
Genève II dont l'objet est de former un gouvernement de
transition visant à le dessaisir de ses propres pouvoirs ?
Malheureusement non !
Aussi, l'objectif de la France, que nous avons déjà
commencé à développer – la diplomatie, souvent, est
chose plus discrète que ce que l'on en voit à la
télévision –, avec les Russes, avec les Chinois, avec les
parties, y compris avec mon collègue iranien, qui m'a appelé et
auquel j'ai parlé l'autre jour, est de déterminer comment faire venir
les puissances concernées à une discussion afin que l'on sorte de ce
blocage.
S'il n'y a aucune réponse à cette affaire d'armes
chimiques, je crains fort, c'est même une certitude, que M. Bachar
Al-Assad ne dise non, et que l'opposition, qui pour l'instant a accepté
d'envoyer des représentants à Genève, ne considère que
l'utilisation d'armes chimiques, les 1 500 personnes gazées, et
l'absence de sanctions internationales rendent difficile la tenue d'une
discussion. Or je souhaite qu'elle ait lieu.
Ce sera donc l'objet des échanges dans les couloirs du
G20, car ce n'est pas l'objet du sommet lui-même, comme plusieurs d'entre
vous l'ont rappelé. Il se trouve cependant que beaucoup de responsables se
réunissent, nous allons donc discuter. Ensuite, cela tombe bien, une
réunion de l'ensemble des ministres européens aura lieu vendredi et
samedi. On avance ! Quelle que soit la grandeur de la France, à
laquelle, tous, vous concourrez, il n'est toutefois pas en notre pouvoir de
dire « C'est comme ça, et tout le monde
s'aligne ! » Voilà la réalité.
Je tiens à le répéter afin qu'il n'y ait pas
d'ambiguïté, et le Président de la République l'a dit
encore ce matin en conseil des ministres dans une déclaration rendue
publique, nous pensons que la solution est politique et non militaire. Mais, en
l'occurrence, la sanction permet d'avancer sur le plan de la négociation.
Sur le suivisme, l'isolement et l'Europe, nous n'allons pas
nous disputer sur les mots. La question est de savoir si la cause est juste.
Nous pensons que c'est une cause juste.
Il y a un certain nombre de pays qui, non seulement le pensent,
mais acceptent de s'engager, physiquement, allais-je dire. C'est le cas de la
France, une fois que tous les éléments auront été
réunis ; c'est le cas des États-Unis, sous réserve que le
Congrès vote positivement ; c'était également le cas du
gouvernement britannique, mais le Parlement a dit non. Il peut bien sûr y
avoir d'autres puissances, et nous souhaitons qu'il y ait le maximum de
participants.
En ce qui concerne l'Europe, cependant, j'ai parlé au
téléphone avec tous mes collègues, Mme Ashton fait ce qu''elle
doit faire… Mais si l'Europe de la défense existait, comme beaucoup
d'entre nous le souhaitent, nous le saurions. Nous y sommes favorables, mais
actuellement elle n'existe pas.
Que me disent mes collègues dans leur immense
majorité, voire dans leur totalité ? Ils me disent que c'est
bien sûr horrible, que le responsable est bien évidemment
M. Bachar Al-Assad, qu'il faut bien sûr une sanction, mais que, tout
en étant à nos côtés, ils ne participeront pas.
Pourquoi ? Une bonne partie d'entre eux n'ont pas les éléments
militaires pour cela, je ne rentrerai pas dans le détail de ce que nous
ferons s'il y a sanction, mais la plupart d'entre eux ne disposent pas des
éléments nécessaires. Ils peuvent donc nous soutenir, mais ils
ne peuvent participer. Pour d'autres, comme les Allemands, une participation
n'entre pas dans leur tradition constitutionnelle. Nous avons déjà
parlé des Britanniques.
On verra ce qui sortira de nos réunions de vendredi et de
samedi, mais je pense que la quasi-totalité de ces pays émettront
à la fois une condamnation et une volonté de sanction. Nous voudrions
bien sûr aller plus loin. Mais aujourd'hui, l'état des choses ne le
permet pas, c'est toute la question de la défense européenne.
On ne peut donc parler d'isolement. Il n'existe d'ailleurs pas
beaucoup de pays dans le monde qui peuvent avancer dans ce domaine. Mais vous
voyez bien le soutien, à quatre abstentions près, de l'ensemble de la
Ligue arabe, comme de beaucoup de pays, on en a compté trente-cinq ou
cinquante et un, je ne sais plus. Cependant, la participation matérielle
est évidemment une autre question.
Je terminerai en reprenant le début de l'intervention
forte de votre collègue M. le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin,
avec lequel j'entretiens des relations
d'amitié. (M. Jean-Pierre
Raffarin opine.) M. Jean-Pierre Raffarin, qui, chacun le sait, a
le sens de la formule, a dit : notre impuissance, c'est le grand sujet.
En effet, mon cher collègue et ami, mais où est
l'impuissance ? On pourrait vous répondre que l'impuissance c'est
d'expliquer avec force pourquoi il faut intervenir et ensuite de fixer des
conditions qui rendent cette intervention impossible. Voilà la
définition de l'impuissance.
Je peux faire miennes beaucoup de vos objections, mais au bout
du bout, il faut trancher. Cela pose la question du vote. Je pense
honnêtement que le vote aujourd'hui n'aurait pas eu grand sens. Sur quoi,
en effet, auriez-vous pu voter ? Il n'aurait d'ailleurs pu qu'être
conditionnel.
Comme le Président de la République l'a dit hier et
répété ce matin, il rassemble tous les éléments de la
décision, c'est-à-dire ce qui se passe sur le terrain et au plan
international, avec, évidemment, la position du Congrès
américain. Non parce qu'il s'agirait d'une dépendance, mais parce
qu'elle est un élément de cette décision, c'est une
évidence aveuglante. Personne d'entre vous, même les plus ardents,
n'a soutenu que la France, comme on dit, y aille seule !
Je ne sais pas quand le Congrès prendra sa décision,
lundi, mardi, ou jeudi. Une fois que l'ensemble des éléments seront
en sa possession, le Président de la République prendra sa
décision et s'adressera aux Français. Cela ne signifie pas qu'il ne
peut y avoir un élément parlementaire, nous ne l'avons pas exclu,
mais ce n'est pas ce que prévoit la Constitution. Le Président de la
République prendra sa décision.
J'entends bien les arguments de part et d'autre, et il faut les
avoir à l'esprit. Conformément à une définition
réputée moderne, il faut, plusieurs d'entre vous l'ont dit, associer
le Parlement. Si l'on demande aux Français s'ils souhaitent que ce soit le
cas, la réponse est, je crois, assez largement positive.
Dans le même temps, d'autres considérations doivent
être prises en compte. Cela n'a pas été beaucoup exprimé
ici, mais je sais que de nombreux responsables le gardent à
l'esprit : dans le concert des nations, du côté des régimes
autoritaires, lorsque le Président ou le Premier ministre énonce ce
qu'il va faire, il n'y a pas beaucoup d'interrogations sur la position
qu'adoptera le Parlement. Du côté des démocraties, dont nous
nous honorons d'être, c'est plus compliqué.
Jusqu'à présent, conformément à la logique
de la Ve République, que l'on peut d'ailleurs contester,
lorsque le Président dit quelque chose en matière d'engagement
militaire, il n'y a pas un nota bene ajoutant « sous
réserve de l'avis du Parlement ». Il s'agit donc d'un arbitrage
à faire, qui n'aura pas nécessairement valeur de jurisprudence, mais
je pense que nous tous, responsables français souhaitant la grandeur et le
rayonnement de la France, nous devons aussi avoir cet élément à
l'esprit. Cet arbitrage est très compliqué et je ne sais pas ce qu'il
sera. À mes yeux, il faut soumettre cela à la réflexion de
l'ensemble de nos compatriotes, sinon on ne considère qu'une seule partie
du sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne sais si j'ai
été trop court ou trop long. En tout cas, si j'ai été trop
long, je vous prie de m'en excuser ; si j'ai été trop court, je
vous prie aussi de m'en excuser.
(Sourires.)
Pour conclure, et en vous remerciant à nouveau de la
qualité de ce débat, j'aimerais insister sur trois observations.
Premièrement, pour ce qui est des faits, je pense que la
contestation n'est pas possible. En France, nous sommes très prudents
– souvenez-vous de l'affaire irakienne ; pourtant, pour tous
ceux qui ont suivi l'affaire de près, en particulier les parlementaires
membres des commissions compétentes, mon collègue Le Drian,
moi-même et les autres ministres, le Premier ministre et le Président
de la République, la contestation est impossible : il y a eu un
massacre chimique et c'est le régime de Bachar Al-Assad qui en est à
l'origine.
Deuxièmement, nous pensons qu'il faut une sanction et que
ce problème concerne la France : parce qu'il s'agit d'une région
éruptive et que, si on laisse faire sans réagir, il n'y aura plus
aucune limite, mais aussi parce que nous pourrions nous-mêmes être
directement concernés, compte tenu de la nature de ces armes et des
capacités des vecteurs.
Troisièmement, – c'est, en fin de compte, la
question sur laquelle notre débat a surtout porté – nous
pensons que l'action, à condition qu'elle soit bien proportionnée et
que nous ne nous engagions pas dans ce qu'on appelle la guerre, non seulement
n'est pas contradictoire avec la solution politique qui est nécessaire,
mais qu'elle en est une condition. Sans action, en effet, nous craignons que
rien ne bouge.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les
précisions que je désirais vous apporter. Je remercie beaucoup le
Sénat ; une fois de plus, il a justifié son nom de
Haute Assemblée !
(Applaudissements
sur les travées du groupe socialiste
et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
– M. Michel Bécot et Mme Marie-Annick Duchêne
applaudissent également.)
M.
le président. Je vous remercie,
monsieur le ministre, ainsi que tous les orateurs qui se sont exprimés
dans ce débat digne et de qualité.
Nous en avons terminé avec le débat sur la situation
en Syrie.
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