Pour information :
Le président de la République, François Hollande, s'est exprimé au
Conseil Constitutionnel à l’occasion du 55ème anniversaire de la
Constitution de la Vème République.
script :
Madame, Messieurs les Premiers ministres,
Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le Président,
Vous avez pris une initiative exceptionnelle, audacieuse, et en même
temps parfaitement symbolique de l’esprit qui est le vôtre. En
réunissant les ministres et anciens ministres qui ont servi sous la Vème
République, vous avez voulu démontrer une seule chose ; qu’au-delà de
la diversité des personnalités, nos institutions ont permis aux
principales formations politiques républicaines de servir, chacune à son
tour, notre pays.
La Constitution de 1958 n’était pas forcément promise à cette longévité.
Elle était la 15ème depuis la Révolution. Elle a eu de bons auteurs,
vous les connaissez, mais elle était née d’une circonstance
-l’effondrement d’un régime, celui des assemblées dans la crise
algérienne- et d’une volonté, celle du général de Gaulle. Et pourtant,
55 ans après, elle est toujours là. La constance l’a emporté sur les
circonstances et le texte a duré au-delà du contexte. Et elle a été
servie par ceux-là même qui l’avaient le plus contestée.
La Constitution de 1958 n’était pas une rupture aussi forte que
certains le proclamaient ou que d’autres le craignaient. Certes, elle
changeait les institutions, en donnant au chef de l’Etat une prééminence
dans l’exécutif et en limitant les droits du Parlement ; mais elle
s’inscrivait en continuité avec les principes des Républiques qui
l’avaient précédée.
Elle se référait explicitement, et Monsieur le Président vous l’avez
rappelé, à la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789
et au préambule de la Constitution de 1946. Or ces deux textes ont pris
rang, en 1971, par une décision majeure du Conseil constitutionnel,
dans ce qu’on appelle, le « bloc de constitutionnalité ». Ce fut
d’ailleurs une révision qui n’a jamais dit son nom et qui a
indirectement fait de la loi fondamentale un véritable levier pour les
libertés.
Car les principes qui sont posés s’imposent à tous. Et loin d’être
intangibles, ils sont vivants et ils permettent de répondre aux
questions les plus sensibles, les plus actuelles et parfois les plus
brûlantes.
C’est d’abord la souveraineté du peuple, dont les élus procèdent et
devant lequel l’autorité politique doit rendre des comptes. Ce qui
pourrait justifier la réforme des immunités et des juridictions
d’exception.
C’est le principe d’égalité, c’est-à-dire le refus de toute
distinction fondée sur l’origine, la fortune, ou la naissance. Et qui
appelle aujourd’hui des politiques qui vont au-delà de la seule
redistribution. C’est l’égalité, entre les femmes et les hommes, à
laquelle la parité a donné une nouvelle traduction pour tous les
scrutins.
C’est la laïcité, qui assure le libre exercice des cultes, mais exige
la neutralité de l’Etat entendu au sens où elle doit s’appliquer
strictement à l’ensemble des services publics, dans le cadre du respect
des règles communes.
C’est l’indivisibilité de la République, dans la diversité des territoires qu’autorisent les lois de décentralisation.
C’est le droit du travail, à travers la loi, mais aussi la reconnaissance du dialogue social.
C’est le droit à la sûreté, qui reste la condition d’exercice de toutes les libertés.
C’est le droit d’asile, reconnu à tout homme persécuté en raison de
son action en faveur de la liberté, et qui doit trouver une réponse
rapide pour avoir tout son sens.
D’autres principes se sont ajoutés à mesure que l’évolution de la
société française les rendait indispensables. Je pense au principe de «
dignité de la personne humaine » contre toute forme d'asservissement et
de dégradation. Votre Conseil a rappelé, à l’occasion de l’examen des
lois bioéthiques en 1994, que c’était un objectif à valeur
constitutionnelle. Je pense aussi à la protection de l’environnement qui
est venue là aussi après une reconnaissance constitutionnelle et qui
oblige les pouvoirs publics à en tenir compte dans toutes leurs
décisions. Je pense au droit à un logement décent aussi qui fait figure
d’obligation. Je pense enfin au respect de la vie privée, principe
énoncé en 1995, et qui sera amené à se déployer avec le développement du
numérique et la nécessaire, indispensable même, protection des données
personnelles.
La Constitution est le socle des valeurs fondamentales –celles d’hier, celles d’aujourd’hui et celles de demain.
C’est ce que le Conseil constitutionnel a défini en exprimant « l’identité constitutionnelle de la France ».
Le Conseil en est le gardien. Ce fut l’une des novations de la
Constitution de 1958. Je rappelle que ni la IIIème, ni même la IVème
République ne disposait d’un juge doté des compétences nécessaires pour
faire respecter les droits énoncés par la loi fondamentale. Le Conseil,
disons les choses franchement, avait été conçu pour limiter les droits
des assemblées, il y est d’ailleurs parvenu mais il est devenu bien plus
que cela. Il est aujourd’hui, la plus haute juridiction chargée de
protéger les libertés.
Cette évolution ne s’est pas faite contre le Parlement, elle a été
voulue, je ne dis pas consentie, mais acceptée par lui. C’est le
Parlement qui a ouvert progressivement la saisine du Conseil
constitutionnel, d’abord à lui-même puis ensuite à tous les citoyens.
Cet élargissement du contrôle de constitutionnalité supposait que
l’institution ait une sagesse, une grande sagesse, celle de ne pas se
substituer au législateur et de ne pas confondre le respect d’un droit
dont elle est garante et les options politiques décidées par les élus de
la Nation comme le suffrage universel qui leur a donné mandat. Cette
sagesse, vous l’avez démontrée.
Mais la Constitution de 1958, c’était et c’est d’abord une
organisation des pouvoirs publics. Convenons que celle de 1958 aura fait
la preuve de sa solidité mais aussi de sa plasticité.
Je ne commettrai pas à l’égard de la IVème République l’injustice
pour ne pas dire l’ingratitude si répandue qui consiste à en oublier les
acquis -il y en eut : c’est à cette République que l’on doit d’avoir
permis la reconstruction de la France; mais elle avait un vice, sans
doute originel, même si celui des personnes s’y est ajouté, ce vice,
c’est qu’elle n’assurait pas la stabilité et donc la durée.
La Vème République, elle, est née d’une ambigüité, ce qui parfois est
une force. Certains de ses auteurs pensaient qu’un régime parlementaire
rationalisé avait été ainsi institué. D’autres avaient l’espoir que
c’était une République clairement présidentielle qui avait été
installée. La décision d’élire le Chef de l’Etat au suffrage universel
en 1962 allait dans ce sens.
Et pourtant, la pratique a forgé, vous avez cité l’expression du
regretté Guy Carcassonne, « un régime parlementaire à direction
présidentielle ».
C’est ce qui a permis à ces institutions de s’adapter. Car, elles ont
bien résisté aux chocs. Elles ont traversé d’abord la décolonisation.
Affronté des guerres, il y en a eu. Surmonté des crises politiques. Ces
institutions ont aussi relevé bien des défis, accompagné la
construction européenne, assuré dans la sérénité les alternances, vécu
des cohabitations inédites, soit par leur répétition, soit par leur
durée.
La Constitution a également été capable d’évoluer. J’ai bien entendu
vos réserves mais vous n’aviez pas été, sans doute, suffisamment
convaincants à l’époque, puisque la Constitution a été révisée 24 fois
depuis 1958, et si je puis m’exprimer ainsi, ce fut une œuvre partagée
ou une responsabilité partagée et donc nous n’avons pas à nous plaindre :
par exemple l’ouverture de la saisine du Conseil constitutionnel en
1974 fut adoptée à l’initiative du Président Giscard d’Estaing ; le
quinquennat fut le fruit d’un accord entre Jacques Chirac et Lionel
Jospin en 2000 ; la Question Prioritaire de Constitutionnalité fut
proposée par François Mitterrand en 1989 et il a fallu attendre 20 ans,
pour que cette introduction de la QPC puisse être rendue possible
durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Cette modernisation de nos institutions n’est pas achevée. J’estime
même nécessaire de la poursuivre sans forcément qu’il soit toujours
compréhensible de modifier la Constitution mais nous avons à mieux
garantir l’indépendance de la justice, à faire en sorte que tous les
Français se reconnaissent davantage dans la République. Perfectionner
les institutions relève de la responsabilité du Parlement, de la
majorité comme de l’opposition, je devrais dire ici, des majorités comme
des oppositions, de l’Assemblée nationale comme du Sénat, il y faut une
majorité, les trois cinquièmes, pour changer notre pouvoir fondamental,
et il faut aussi des majorités pour adopter des lois organiques. Sauf à
recourir au référendum si la question justifie, de la part du Chef de
l’Etat, d’en appeler à l’arbitrage du peuple français.
Mesdames et Messieurs, je n’ai jamais été favorable à une VIème
République -ce fut longtemps un débat y compris lorsque j’exerçais
d’autres fonctions- et je ne le dis pas parce que je suis devenu
président de la République. Car je n’ai jamais pensé qu’il serait
possible d’en terminer avec l’élection du Chef de l’Etat au suffrage
universel. Les Français y sont légitimement attachés.
J’ajoute, car cela a pu faire débat ces dernières semaines, que les
prérogatives du Président de la République ne sont pas des privilèges,
ce ne sont en définitive que des moyens d’assurer la défense de la
France, de nos valeurs, de nos idéaux, et de permettre l’influence de
notre politique extérieure dans le monde. Le quinquennat a changé bien
davantage que le rythme de notre vie politique même si, c’est
incontestable, aussitôt l’élection passée certains pensent déjà à
l’élection suivante : je parle de ceux qui n’ont pas été nécessairement
élus. Le quinquennat a changé le rythme sans doute, mais il a modifié
notre interprétation et notre pratique de la Constitution. Il implique
davantage le Chef de l’Etat dans l’action de l’exécutif et dans le
rapport avec la majorité, au risque de la confusion. C’est pourquoi des
règles nouvelles doivent être introduites pour permettre un
renforcement des contre-pouvoirs.
Chacun doit prendre conscience de la période que nous traversons.
Un doute, et il n’est pas nouveau, s’est installé sur la capacité de
nos institutions à bien représenter la société française dans toute sa
diversité, mais il y a également une aspiration à changer les pratiques
et à accélérer la prise des décisions.
C’est le sens des réformes que j’ai proposées et qui ne sont d’ailleurs pas de nature constitutionnelle.
D’abord, la limitation du cumul des mandats. Elle permettra aux élus
concernés de se consacrer pleinement à leurs fonctions. Elle
contribuera aussi à renforcer les droits du Parlement, ce qui supposera
l’extension de ses pouvoirs budgétaires, l’élargissement de son contrôle
sur les nominations et le renforcement de ses liens avec les organismes
d’évaluation ou de prospective.
Deuxième illustration : la modernisation de la vie politique,
c’est-à-dire ce qu’on appelle, c’est toujours risqué, l’exemplarité. La
démocratie repose sur la confiance, donc sur la transparence afin
d’éviter des conflits d’intérêts et là encore, les confusions dans les
activités. La France n’est pas forcément en retard, mais elle n’est pas
non plus en avance. J’estime que le rétablissement du lien civique est à
ce prix, même s’il est exigeant.
Je crois également nécessaire de mieux associer les citoyens à la vie
publique. La révision constitutionnelle de 2008 avait prévu le
référendum d’initiative populaire. La loi organique permettant
l’application de cette mesure n’a toujours pas été adoptée par le
Parlement : j’ai demandé qu’elle le soit avant la fin de l’année.
La démocratie, c’est également la lisibilité de l’action publique par les citoyens.
La Vème République avait pour fondement la limitation du domaine de
la loi et c’était une bonne innovation à l’époque. Elle n’a pas su
empêcher la prolifération des textes. On a limité les domaines mais on a
multiplié les initiatives gouvernementales ou parlementaires. Chaque
année, une cinquantaine de lois sont votées, auxquelles s’ajoutent plus
de 1500 décrets réglementaires. Le choc de simplification, c’est d’abord
un choc qui doit aboutir à la retenue. J’ai donc posé une règle : toute
création d’une norme nouvelle devra désormais être accompagnée de la
suppression d’une autre, ce qui n’est pas tout à fait nouveau comme
annonce, ce qui suppose d’avoir un certain principe d’effectivité.
Enfin, la démocratie s’enrichit du respect des « corps intermédiaires
». L’une des assemblées prévues par notre Constitution pour les
représenter, c’est le Conseil économique, social et environnemental. Je
salue son Président. C’est la France du travail, de la jeunesse, des
associations, qui se retrouvent dans cette « assemblée du temps long ».
C’est l’un des lieux où s’élaborent, souvent discrètement, le débat
public. Je souhaite que le Conseil soit davantage consulté avant les
principaux projets de loi, qu’il prenne lui-même des initiatives, qu’il
soit associé à l’élaboration de la stratégie à 10 ans de la France.
Monsieur le Président, la Constitution n’est jamais finie. Elle est,
pour reprendre une expression de Georges Clemenceau, « une création
continue », je ne suis pas sûr qu’il pensait à cette époque à la
constitution mais à la démocratie, et toutes les composantes de la
société doivent y contribuer.
Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement ou des gouvernements de la Vème République, vous êtes ici rassemblés.
Je reconnais vos visages. Vous vous êtes parfois combattus avec
énergie. Vous êtes en cet instant, côte à côte pour célébrer, à
l’initiative du président Debré, l’anniversaire de la Constitution de
notre pays. Vous avez encore des points de vue différents, y compris sur
le texte fondamental. En cette circonstance, vous n’oubliez rien de ce
qui fait votre identité politique et en même temps vous affirmez que ce
qui vous réunit tous, ce qui nous rassemble tous, c’est le service du
peuple français, l’attachement à l’intérêt général, l’esprit public et
pour vous, la fierté d’avoir fait l’histoire de notre pays.
Et encore aujourd’hui, la France a besoin de se rassembler sur
l’essentiel. Elle se divise sur suffisamment de sujets pour revenir à
l’essentiel.
Et l’essentiel en ces moments, ce sont nos valeurs, ce sont nos principes, ce sont nos institutions.
En un mot, c’est la République.
Merci.
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