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1er mai 2015
1 - Le mythe de la guerre des étoiles
2 - Psychophysiologie de l'homme d'Etat 3 - Les aventures de la fiole voyageuse 4 - Défaussements et camouflages en chaîne 5 - l'Europe à la croisée des chemins
J'ai inauguré ce site en mars
2001. En ce temps-là, les Etats-Unis se trouvaient momentanément en panne
d'un totem, d'un fer de lance fascinatoire, d'un mythe apocalyptique
terrifiant. Les empires en expansion ont besoin de se servir des boucliers et
des armures d'un salut - il s'agit, pour eux, de brandir la bannière d'une
rédemption titanesque, il s'agit de placer le monde entier sous le sceptre de
leur éternité. Toute mythologie de la liberté a besoin du moteur d'une
apocalypse. Sinon, comment prouverait-elle la menace dont le chef de
l'imaginaire mondial sera censé protéger l'humanité? La vie internationale
des temps modernes demeure secrètement l'otage du même évangélisme délivreur
et du même messianisme biphasé qui débarqua sur la planète il y a deux mille
ans.
GW Bush avait imaginé de faire
atterrir la terreur salvatrice de ce qu'on appelait alors la guerre des
étoiles et qui, par un mélange biblique de l'épouvante avec l'espérance,
remettrait la conduite du monde entre les mains de la seule Amérique. Mais,
par la volonté d'une providence inattendue, l'attentat du 11 septembre 2001 a
permis de rallumer le tonneau de poudre du sacré bipolaire; et l'Amérique a
pu remiser sa guerre des étoiles au magasin des accessoires, tellement
cette catastrophe lui fournissait un relais apocalyptique inespéré:
l'expansion territoriale de l'empire des auréoles verbales était assurée pour
longtemps.
Ces idéalités allait poursuivre
leur progression à l'aide d'un renfort herculéen, celui d'un subterfuge
juridique d'une portée internationale: le droit classique de la guerre,
subitement gonflé à l'hélium du mythe démocratique, permettait maintenant de
venger le crime d'un particulier par l'invasion d'un Etat et de légitimer la
foudre du Bien à l'école d'une déflagration armée. Le symbolique et
l'apocalyptique faisaient alliance avec les anges de la mort. L'Afghanistan a
permis à la croisade mondiale des démocraties messianisées par leur vertu de
reprendre son cours eschatologique - et cela à l'école d'une guerre entre
Dieu et le Mal opportunément rallumée.
En vérité, la Maison Blanche avait
tardé à comprendre que son atout majeur se trouvait dans la soumission -
acquise depuis longtemps et désormais tranquillement affichée - de toutes les
nations du Vieux Monde, qui n'allaient pas manquer de se blottir
précipitamment sous le drapeau profané du mythe de la Liberté. Une
civilisation vocalisée par sa virginité et vassalisée par sa catéchèse allait
s'engager comme un seul homme dans la guerre sainte des modernes : on
purifierait plus ardemment que jamais la pléiade des entités salvifiques et
des concepts catéchisés, on s'immunisait avec entrain contre les déflorations
de l'histoire. L'attentat du 11 septembre 2001 avait saisi à la gorge un
monde grisé par les béatitudes subitement retrouvées de son mythe sacré.
L'Amérique avait mis plusieurs jours à comprendre l'étendue de sa victoire
dans la sphère éthérée de l'innocence démocratique mondiale dont le linceul
enveloppait la terre dans sa blancheur.
Un seul homme politique français -
et protestant - Lionel Jospin, avait osé s'étonner au spectacle d'un tour de
passe-passe sidéral, celui de l'immaculée conception de type démocratique. Pourquoi,
disait ce disciple de Calvin, la traque policière d'un seul malandrin pris en
flagrant délit sur les lieux mêmes de son forfait autoriserait-elle un empire
censé incarner le Beau, le Juste et le Bien - mais prétendument profanés à
titre collectif - de se ruer sur un Etat souverain et qui n'y était pour
rien? Le seul péché capital de ce pays? Avoir outragé l'entreprise pétrolière
américaine Unocal: il lui avait été interdit de construire un oléoduc qui
aurait traversé tout son territoire. Mais l'histoire est théologique au plus
secret de l'inconscient du genre humain. Clio serait-elle une semeuse des
chausse-trapes, des mascarades et des simulacres du mythe de la damnation et
du salut?
Quoi qu'il en soit, la France de
Jacques Chirac elle-même avait repris les litanies d'un salut guidé par des
abstractions et qui pilote désormais l'encéphale de l'humanité. On
substituait le séraphisme politique performant d'une démocratie
conceptualisée au vocabulaire inefficace des confessions de foi en usage dans
le passé, on récitait l'antienne "Nous sommes tous Américains"
à la place du hosannah antérieur de JF Kennedy, qui s'était écrié: " Ich
bein ein Berliner". La sainteté gravait toujours un cas isolé dans
l'écrin d'une théologie et le sertissait de ses rituels, mais la continuité
d'une histoire cosmologique et politique auréolée par son langage bénéficiait
maintenant d'une châsse du sonore, celle du mythe de la Liberté.
Et pourtant, sitôt que l'empire
américain s'était mis en tête de conduire jusqu'en Irak, et tambour battant,
son apostolat et son orthodoxie, on se souvint tout subitement de ce que tous
les hommes d'Etat, même de type démocratique, se distinguent des autres
spécimens du genre humain en ce qu'ils gardent la tête sur les épaules au
milieu de leurs congénères abasourdis, ébaubis et éberlués; et l'on vit, dans
la foulée, la sainteté de Jacques Chirac faire volte-face et se mettre à
l'école d'un modèle paradigmatique du déniaisement machiavélien. Il fallait
se hâter d'éteindre le cierge des abêtissements collectifs.
On se souvient du discours, aussi
peu mythologisant que possible, que Dominique de Villepin, alors Ministre des
Affaires étrangères, avait prononcé devant la pieuse Assemblée des Nations
Unies. Où était-elle pas passée, la griserie apostolique qui avait précipité
toutes les nations à Kaboul? On conseillait vivement aux escadrons des
idéalités d'aller fureter dans les coins et les recoins de la planète afin de
tenter de mettre la main sur la fiole du péché originel que Saddam Hussein était
censé brandir sur la tête de l'humanité. On avait retrouvé Satan et tout son
arsenal, mais comment le débusquer dans sa cachette, comment lui mettre la
main au collet, comment lui passer la corde au cou?
On se souvient du défilé des
sorciers et des magiciens du flacon. On n'a pas encore oublié l'illustre
évangélisateur Tony Blair, qui avait passé d'un bond de la chaire de la
cathédrale Saint Paul de Londres, où il venait de prononcer l'éloge funèbre
et le panégyrique de Lady Diana, jusqu'à la chaire toute proche de la chambre
des Communes, où il avait brandi le fameux litron de l'apocalypse dont le Général
Powell avait allumé la mèche trois jours auparavant devant l'Assemblée
sidérée des Nations Unies.
Mais, en cas d'urgence
internationale, la nation du Discours de la méthode revendique
le droit de veto de l'intelligence et se précipite, rieuse, au secours du bon
sens cartésien. Alors, l'Amérique a démontré au monde entier qu'elle fait peu
de cas des droits de l'homo democraticus et de son cogito; car
le Titan avait débarqué en Irak avec armes et bagages et, sans consulter ni
Dieu, ni Diable, ce qui démontrait, s'il en était besoin, que la guerre des
étoiles n'était pas seulement celle des fulminations de l'abstrait. Derrière
les concepts propulsés dans le vide, on entendait le pas lourd des fantassins
en armes.
Ce sera pourtant sur ce monticule
du sacré qu'il nous faudra hisser le vocabulaire des démocraties verbifiques
afin d'observer les obstacles qui paralysent les messianismes langagiers et
qui ramènent au logis, la corde au cou, les apostolats de la syntaxe dans
laquelle l'humanité s'était subitement drapée. Quand, en 2013, le mythe
américain d'un salut à portée de main fut placé sous le sceptre exclusif de
la Liberté, cet évangile a rêvé de poursuivre sa course en Syrie; et le chef
du parti travailliste anglais, M. Milliband, s'opposa résolument à cette
propagation du sacré et de ses camouflages. Et l'on vit cet hérétique
débaucher en un tournemain plus de trente-cinq députés lucides du parti
conservateur.
Une troisième croisade de la fiole
de la démence semblait interdite par le sens commun partiellement retrouvé.
L'argument opposé à la troisième équipée du flacon n'était autre que la honte
et le ridicule dont le Royaume-Uni s'était couvert aux yeux de tous les
épidémiologues de l'univers pour avoir emboité le pas aux nouveaux sorciers
des mots de la planète. Bien plus, un Congrès américain démocrate, mais un
peu assagi par le spectacle du rocambolesque britannique, est allé jusqu'à
menacer le Président des Etats-Unis de le destituer - empeachment - s'il
lançait, avec un bandeau sur les yeux, l'Amérique tout entière dans l'épopée
sans cesse recommencée de la fiole.
Mais un nouvel acteur du langage
était monté sur les planches du théâtre des vocables. Depuis 1945, la France,
pourtant laïque, à l'en croire, se rangeait aveuglément du côté du peuple biblique.
Soixante-dix ans avaient passé; et Israël se trouvait encore en croisade pour
la reconquête inachevable de sa "terre promise". On avait le plus
grand besoin, disait l'Elysée, de mettre à tout le monde un bandeau sur les
yeux afin de consolider l' hégémonie de l'étoile de David au Moyen-Orient.
Alors on vit le pape François
rappeler à la France de la raison les devoirs attachés à la pensée
rationnelle et lancer les Jésuites du monde entier à l'assaut des
défaussements et des camouflages en chaîne auxquels se livrait un mythe de la
Liberté de penser devenu l'ennemi de la logique. Par quel abus le substitut
de la grâce divine qu'on appelait la Démocratie avait-il pris la
relève du Dieu mort? Visiblement, la République faisait ses premiers pas dans
le ciel et visiblement elle titubait comme un enfant en bas âge. Combien de
siècles lui faudra-t-il pour achever son apprentissage et prendre sans trop
d'embarras le relais de son père? La carence intellectuelle de la France, qui
avait prétendu exister parce qu'elle pensait, a redonné un instant à l'Eglise
romaine une place éminente dans la conduite politique du monde; car, pour la
première fois de son histoire, le catholicisme entrait ouvertement en conflit
avec les plus illustres falsificateurs et prestidigitateurs du langage
frelaté de la bête. Et voici que le Saint Siège proclamait hérétiques les
mots qui avaient messianisé la démocratie mondiale. Qu'allait-il advernir des
vocables blasonnés à l'école du vide?
Une humanité que le mythe de la
Liberté avait messianisée à seule fin de remettre entre les mains des
sorciers de l'abstrait le sceptre du vocabulaire falsifié de la politique
mondiale, une humanité qui paraissait avoir rengainé provisoirement son épée,
une humanité de faux apôtres voyait l'expansion commerciale de la Chine d'un
côté et l'irrésistible ascension de l'Amérique du Sud de l'autre, apporter un
renfort décisif aux ennemis de l'universel vaporisé. Déjà Washington se
demandait sur quel Satan de rechange se ruer.
A l'origine, l'Amérique n'avait
pas l'intention de dévorer la Russie toute crue. Il se trouvait seulement que
le vice -Président des Etats-Unis, Joseph Biden, ex-président de la
commission des affaires étrangères du Congrès, s'était convaincu de la
fatalité d'un affaiblissement durable et irrémédiable de la Russie. Le moment
semblait mûrement choisi pour faire coup double: on disloquerait le pays des
tsars; et l'Europe en paierait seule le prix. Six milliards de dollars avaient
précipitamment été engloutis pour semer des troubles en Ukraine de l'Ouest.
Tous vassalisés que fussent depuis
1945, les Européens rechignaient néanmoins à franchir un pas de plus en
direction de l'abîme grand ouvert devant eux; car l'heure avait aussitôt
sonné, pour leurs cassettes, d'acquitter le tribut immense qui leur était
maintenant demandé au nom du mythe démocratique prétendument outragé - mais
au seul bénéfice de Washington - et dont le montant dépassait les forces du
Vieux Monde. Le fardeau dont on chargeait les épaules du Continent dépassait
d'autant plus les forces des serfs épuisés qu'à lui seul, le poids de la
corruption dont souffrait la classe dirigeante de l'Ukraine suffisait à jeter
d'avance au néant tout effort de modernisation et de redressement à long
terme de l'économie du pays.
On sait que seule la force de son
poignet avait permis à M. John Kerry, Ministre des affaires étrangères de
l'empire américain, de contraindre le peloton de ses vassaux ligotés dans
l'OTAN à s'engager dans une ultime tentative d'émiettement de l'ex-Union
soviétique. Certes, il était absurde de tenter de mettre à genoux une nation
de cent cinquante millions d'habitants et dont la garde rapprochée se
composait de trois milliards de Chinois et d'Indiens, pour ne citer que ces
deux-là. Mais le pire, c'était que Wall Street et la City n'avaient pas prévu
que la Russie placerait à sa tête un homme d'Etat de la taille de Pierre 1er
et que le géant russe réintègrerait en un tournemain la Crimée à son
territoire.
L'effondrement de l'évangélisme
marxiste avait dépecé une nation qui depuis 1989 payait le prix de
l'incroyable utopie, née au 1er siècle, qui s'était à nouveau emparée du
monde. Dans son dialogue de plusieurs heures avec des citoyens russes
redescendus sur terre et qui ne comprenaient goutte à ce qui leur arrivait,
M. Poutine avait reconnu que son pays continuait de payer la note de
l'expansionnisme soviétique.
L'Europe de la pensée rationnelle
n'avait pas encore compris qu'une géopolitique reconvertie au capitalisme
sauvage, mais plus décérébrée qu'autrefois par les carences de son
anthropologie scientifique n'était plus en mesure de rendre compte de
l'historicité spécifique des évadés de la zoologie. Le peuple russe se frottait
les yeux, les Européens tardaient à les ouvrir. On se demandait si la
postérité du siècle des Lumières trouverait son assise dans un évolutionnisme
approfondi et si la religion orthodoxe retrouverait le souffle ascensionnel
que la France de l'intelligence avait donné à la foi des Tolstoï et des
Dostoïevski. (- Séance extraordinaire de l'Académie des sciences
morales et politiques - Intervention remarquée d'un revenant qui aurait
changé de tête , 17 octobre 2014)
On savait que le mythe
démocratique américain échouerait à caricaturer la Russie sous les traits
d'un nazisme recuit et porteur de vêtements d'emprunt. Mais une Europe en
lambeaux et porteuse d'un mythe de la Liberté dévoyé et détourné de son cours
se laissera-t-elle durablement entraîner dans une guerre économique stupide
et au seul profit de Washington? Un siècle d'élan du Vieux Monde vers une
souveraineté à reconquérir serait-il brisé ou bien un nouveau départ
allait-il se déclarer?
C'est ce que nous examinerons la
semaine prochaine.
Le 1er mai 2015
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