1 - Renan et la généalogie de la vie ascensionnelle de la raison
Les premiers orphelins des nations tombées en
panne du corsetage théologique rudimentaire de la vie ascensionnelle de
l'humanité ont tenté d'emprunter des pistes de l'intelligence interdites
aux premiers alpinistes bibliques. Renan a su prendre acte de ce que le
héros de la délivrance des chrétiens n'était pas remonté de l'empire des
morts d'autrefois. Mais il était impossible de retrouver Lucien de
Samosate, qui faisait si allègrement dialoguer dans l'Erèbe Périclès avec
Platon ou Sophocle avec Aristote.
Puis le séminariste de Tréguier a vainement tenté
de substituer à la foi perdue de la seule bête qui se demande ce qu'elle
fait en ce bas monde une météorologie du salut plus campagnarde que la
précédente; car les idéalités de l'animal du pourquoi serviraient,
disait-il, d'étoiles et de guides à la longue marche de l'espèce à la
recherche d'un chef. Un romantisme du salut aussi enferré dans le champêtre
qu'auparavant s'est époumoné à nous tirer de là; car nos idéalités d'une
délivrance universelle nous ont trahi. Car bientôt les oriflammes de notre
langage nous ont fait tomber dans un angélisme agricole et un séraphisme
bucolique plus secrètement carnassiers que jamais; et nous avons enfermé
nos abstractions pseudo-délivrantes dans une théologie à l'usage des héros
de l'abbé de Saint Pierre; et nous n'avons pas tardé à nous livrer aux
mâchoires de nos concepts réputés salvifiques à l'écoute des douze apôtres.
2 - Nietzsche et la vie spirituelle de l'intelligence
De son côté, Frédéric Nietzsche, ce transfuge de
feu de la cosmologie fantasmagorique des chrétiens et de la pieuse
paysannerie de son pasteur de père tenta de métamorphoser l'ascensionnel
demeuré astronomique des premiers âges de nos prodiges salvifiques en un
trésor spirituel proportionné aux facultés latentes de notre espèce de
dormeurs - trésor qui remplirait du moins les coupes demeurées vides de la
tridimensionnalité psychogénétique désespérante dont les anthropoïdes du
fabuleux se trouvent frappés leur vie durant.
La narration nietzschéenne de la naissance, du
devenir et de l'épanouissement d'un homme virtuellement divin et pourtant
déjà auto-suffisant, nous a initiés à la généalogie, d'étape en étape et
dans son développement logique, d'un Céleste potentiellement en marche sur
la terre. Pour la première fois, nous avons découvert le devenir
ascensionnel des guerriers de l'absolu, dont la tâche avait été d'enfanter
un dieu vraiment unique: son âme logicienne serait plus élevée et d'une
trempe de meilleure qualité que celle du tortionnaire éternel de la Genèse.
Mais comment l'équiper de la tête aux pieds dans l'ordre de l'incandescence
des âmes sommitales? Nous avions perdu notre interlocuteur diplômé, notre
miroir magique, le plénipotentiaire agréé et le géant validé dont la
cervelle assermentée s'était durcie. L'immobilité doctrinale garantie de
nos docteurs du merveilleux remplaçait un Titan trébuchant parmi ses rites
et ses litanies.
C'était désormais au tour d'une philosophie de la
conquête de notre propre altitude de servir de guide aux nations
ambitieuses du sommital. Mais comment forger une éthique de grimpeurs et de
casse-cou. Dirons-nous, avec Julien Benda: "Clercs de tous les pays,
vous devez être ceux qui clament à vos nations qu'elles sont
perpétuellement dans le mal du seul fait qu'elles sont des nations"?
Plotin rougissait d'avoir des bras et des jambes. Dirons-nous toujours avec
Julien Benda: "Vous devez être
ceux qui rougissent d'avoir une nation. Ainsi vous travaillerez à détruire
les nationalismes et à faire l'Europe. " (Discours à la nation européenne,1933)
Hélas, l'expérience d'un demi-siècle de notre
vassalisation sous la bannière du mythe de la Liberté a suffi à nous
enseigner que l'évaporation de nos nations réduirait l'Europe à s'évanouir
dans le faux ciel du supranationalisme américain. Il appartient donc aux
Socrate de demain de s'armer d'une tête moins nuageuse que celle des
Eglises. Comment le buveur de la ciguë de la vérité interprète-t-il le
silence embarrassé du Vatican face au nazisme et le silence interloqué des
Etats pseudo démocratiques actuels face au crocodile angélisé de l'Amérique?
Il y faut une éthique, donc une incandescence des hauteurs de la raison
elle-même et qui trouverait sa source vive dans un feu nouveau de
l'intelligence. Nietzsche écrit que le christianisme périra de son
immoralité. Mais quelle est la moralité suprême, celle qui saurait comment
définir l'immoralité des religions de la mort et des mâchoires du trépas?
Le Zarathoustra de Nietzsche a quitté le modèle de purification de la
conscience de soi que pratiquait encore le démiurge en marche dans le
Coran. Allah met sans cesse la main à la pâte et s'affaire à sa tâche avec
une rigueur d'esprit et une détermination politique que n'effleure jamais
l'ombre d'aucune hésitation, d'aucun remords et d'aucun repentir.
Voyez comme ce Dieu-là vous pétrissait sans
relâche les rites et les coutumes qu'il nous ordonnait de hisser à nouveaux
frais sous la voûte stellaire! C'est dire que, sitôt qu'on y regarde de
près et d'un œil soupçonneux, on découvre que notre démiurge affairé se
mettait le plus souvent à l'école des lois et à l'écoute de nos prières
ressassées - celles dont les peuples de l'endroit faisaient leur nourriture
depuis des siècles et dont leur tête contentait leur estomac tant bien que
mal.
En revanche, les spécimens rarissimes de notre
espèce que nous appelons des prophètes nietzschéens n'y vont pas par quatre
chemins non plus, mais sur une route nouvelle, celle des incendiaires de
leur âme. Ceux-là renoncent à mettre en place un maître du cosmos empâté
dans ses châtiments, ceux-là se veulent les annonciateurs de leur feu.
Mais, en secret, ils haussent, eux aussi, leur saint calame à la
température de la littérature biblique; eux aussi vous pétrissent d'une
main énergique un modèle d'éloquence qu'ils cachent dans leur manche. Du
coup, nous nous sommes souvenus que notre politique et notre histoire ne
montent dans le four de notre esprit qu'aux heures critiques où une
civilisation désemparée a besoin de se reforger son Olympe épuisé.
Zarathoustra est un accoucheur qui se laisse bousculer par son temps,
tandis que celui de la Genèse maniait encore la maïeutique du gourdin, du
fouet et de la hache.
La grande différence de style et de gestuelle
entre la grossesse du dieu torturé sur le gril de sa pensée et les Zeus de
pacotille qui accouchent des saintetés de la torture qu'ils infligent à
autrui pose une question de méthode aux maïeuticiens de l'anthropologie
critique de demain. Car l'histoire des enfantements de l'imagination
religieuse de l'humanité se trouve désormais arrêtée au carrefour décisif
d'où nous voyons que les dieux rangés à la queue leu leu et qui se mettent
à tour de rôle en possession des armes que sont l'atrocité de leur code
pénal d'un côté et la férocité de leur système pénitentiaire de l'autre
vieillissent de se trouver étroitement dépendants de leurs corsets de fer -
ceux des mœurs et de la politique des époques qu'ils traversent la corde au
cou et des chaînes aux chevilles.
4 - Ainsi parla Zarathoustra
C'est ainsi que le dieu d'origine cosmologique et
pénale encore en service sur cette terre nous paraît de plus en plus
grognon, rancunier, vengeur, cruel, irascible et sensible aux flatteries de
ses adorateurs. Beaucoup d'entre nous le jugent non seulement avide de
puissance et de gloire, mais assoiffé d'une renommée tapageuse dans nos
pauvres enceintes et surtout en proie à une sauvagerie d'anthropoïde tout
juste évadé des forêts de nos ancêtres. C'est que les dieux de nos cités se
fossilisent dans la cage de leur politique, tandis que les dieux
nietzschéens se veulent tellement sévères dans le choix de la cervelle
altière des prophètes de leur âmes qu'ils ne se collèteront jamais avec les
multitudes dans l'arène du monde. Aussi Nietzsche n'a-t-il jamais rédigé
dans la poussière un testament qui s'intitulerait Ainsi parlait Zarathoustra (Also
sprechte Zarathoustra) mais un Ainsi parla Zarathoustra (Also sprach Zarathoustra
).
Pourquoi, depuis cent trente deux ans, lisons-nous
une traduction erronée et banalisante, comme si le citoyen Zarathoustra
conversait avec ses amis ou s'entretenait avec ses hôtes? Si nos
grammairiens connaissaient le "passé de sacralité" la
parole annonciatrice, la parole oraculaire, la parole souveraine aurait un
statut syntaxique dans notre littérature, parce qu'elle énoncerait un
message solitaire par nature et par définition; et nous saurions que Marc
et Matthieu usent d'un tout autre type de discours. Ces greffiers étrangers
à leur sujet, ces plats narrateurs enregistrent seulement des prodiges qui
les dépassent et qui les laissent interloqués, tandis que Luc et Jean
rédigent un Ainsi parla Jésus.
Le Coran est un Ainsi parla Mahomet.
Si Nietzsche s'était abaissé à rédiger un Ainsi
parlait Zarathoustra , comme on se l'imagine bêtement en France depuis
treize décennies, il serait impossible à l'anthropologie critique de
descendre dans l'abîme des voix du calibre prophétique.
5 - Un sursaut manqué de notre mythe de la délivrance
Aussi sortons-nous d'un siècle de débarquement de
notre espèce dans le faux sommital de l'utopie politique. Autrefois, nous
nous demandions seulement: "Qui nous a donné le soleil et la lune, la
nuit et le jour, la vie et la mort?" Et maintenant, le messie Karl
Marx nous reconduisait d'une main de fer à la fausse mission dont notre
mythe du salut nous chargeait et qui nous enjoignait exclusivement d'abolir
en toute hâte notre seul péché mortel, celui de nous rendre acheteurs et
vendeurs de nos moyens de production, donc de notre outillage de plus en
plus titanesque.
On sait que les premières décennies de l'ère
chrétienne avaient tenté d'illustrer nos doutes sur ce point: les
craquements de nos stratagèmes alternés d'affamés et d'obèses paraissaient
en perdition. Jusque dans L'île
d'Utopie de Thomas More de 1516, notre sanglante et glorieuse
rêverie de nous déposséder saintement et à jamais de notre condition
d'animaux immergés dans le temporel avait suivi le même chemin de la
déconfiture politique qu'en 1917. Cette année-là, nous avions engagé à
nouveaux frais et en rangs serrés les bataillons d'un clergé de
convertisseurs apostoliques et guerriers; et ces diplômés de l'absolu
étaient montés au front avec ardeur. Une fois de plus, nous avons écouté
quelques gosiers solennels et nous nous sommes prosternés dans la poussière
devant les Stentors de nos oracles - puis nous sommes redescendus aux
enfers du Moyen-Age, où nous avons fait cuire et rôtir nos hérétiques au
feu de nos goulags.
Décidément, notre oiseau de Minerve en devenir
élèvera l'histoire de notre recul à l'égard de notre pauvre tête jusqu'à
nous initier à une pesée de l'encéphale de "Dieu" plus
distanciatrice que la précédente. Qu'est-ce à dire? Quel est l'encéphale du
Dieu que nous forgeons sur nos enclumes si celui-là ne colle qu'à nos
chausses et si Zarathoustra ne s'abaisse pas à remplir nos escarcelles? De
nos dieux, les petits nous frappent au dessous de la ceinture, les grands
nous tournent le dos.
6 - Des encéphales en enfilade
Les encéphales de nos trois dieux uniques - leur
monopole cérébral rend chacun d'eux nécessairement polycéphale -se comptent
sur les doigts d'une main et leurs circonvolutions s'emboîtent les unes
dans les autres, se complètent ou se confondent - sinon, ils ne se
montreraient pas les chefs de guerre chevronnés que l'on sait, les
législateurs expérimentés que nous saluons, les administrateurs éclairés et
les garde-chiourmes terrifiants devant lesquels nous nous prosternons
depuis des millénaires.
Le premier cerveau d'un ciel monopolaire s'est
donné l'omniscience d'un César des sciences exactes et les apanages d'un
empereur de notre histoire et de notre politique d'hier, d'aujourd'hui et
de demain. On trouvera une description détaillée de ses prouesses
intellectuelles dans la Summa
contra gentiles de saint Thomas d'Aquin, le principal théoricien
minutieux de l'ubiquité de la tête chercheuse d'un démiurge bien équarri, mais
encore taillé à la hache de la logique d'Aristote. Le second crâne de notre
Zeus universel attire autour de son képi des millions de miliciens
assoiffés de se casquer, eux aussi, d'un chef galonné, conquérant et
relativement cogitant. Le troisième encéphale de nos capitaines du cosmos a
servi de guide à l'éthique et aux lois de toutes les cités de la terre. La
quatrième conque osseuse d'un Zeus au regard d'aigle a rédigé, comme il est
rappelé plus haut, un code pénal d'une fureur terrifiante et l'a mis en
cheville avec le système pénitentiaire enragé d'un cosmos à l'usage de
notre férocité naturelle. Ce bourreau souterrain et ce confiseur sommital
nous sert désormais de balance à juger nos cités de sauvages et à les
séparer peu ou prou de celles que nous avons relativement civilisées,
tellement les ridicules sucreries réservées à nos ossements immortalisés et
que notre pâtissier suprême distribuait à ses adorateurs n'étaient jamais
qu'une sotte gâterie, tandis que les tortures calculées que ce monstre infligeait
dans l'Erèbe à ses victimes épouvantées illustrent le degré de terreur
saintement requise par notre température morale, du temps où notre pauvre
espèce oscillait entre ses atrocités et ses attiédissements.
7 - L'encéphale sommital de Zeus
Vous me direz que les encéphales inachevés de nos
premiers comploteurs célestes, notre oiseau de Minerve en a survolé les
hangars à tire-d'aile et depuis belle lurette, vous me direz, en outre, que
la chouette de demain ne saurait nous montrer davantage qu'un magasinage de
notre salut et de notre damnation que nous connaissons depuis des siècles
et sur le bout des doigts. Mais c'est ici que l'examen du cerveau de notre
Jupiter de demain nous conduira au survol de la cinquième demeure du roi du
cosmos, celle qui dotera d'une signification toute différente
l'échelonnement des boîtes osseuses du ciel dont nous avons appris à
dévider les litanies et à entonner les cantates. Car le Zarathoustra que Jean
de la Croix, Nicolas de Cuse ou Me Eckhardt se partagent n'a d'autre
interlocuteur que le silence et le vide de son éternité. On cherche la
balance à peser une solitude tellement incandescente qu'elle ne s'adresse
qu'à elle-même, une solitude qui ne parle qu'à son soleil, une solitude
qu'éclaire en retour l'intensité de son feu. De cet incendie immortel, non
seulement les fuyards des forêts ne veulent pas en entendre parler, mais
leur horreur pour elle est à la mesure de leur épouvante. Aussi les sylvestres
se sont-ils donné un exorciseur suprême du cinquième encéphale dont ils se
trouvent habités à leur corps défendant.
8 - Que signifie le verbe exister?
L'homme est un animal à la recherche de son
souffle et fort embarrassé par la boîte osseuse minuscule qu'il tient entre
ses pattes. Pourquoi cette bête a-t-elle jeté l'enfant avec l'eau du bain?
Prenez le Zeus logicien, mathématicien et géomètre de Descartes: l'auteur
du cogito s'était construit son Dieu sur celui de saint Anselme, qui disait
que la proposition "Dieu existe" se révèle aussi tautologique à
l'examen que celle des géographes; car l'existence ne saurait être refusée
au créateur du cosmos, puisque son inexistence nous ferait tomber dans
l'absurdité de nous faire renverser toute la topographie d'Aristote. C'est
cela que Descartes a repris à son compte d'arpenteur: il est impossible,
disait-il, d'évoquer une montagne sans qu'il existe nécessairement - donc
logiquement - des vallées. Un humanisme occidental qui ignore tout des
sources de sa raison dans une mystique des piétinements de la logique
d'Aristote est-il suffisamment informé du regard que Zarathoustra porte sur
le danseur de corde dans le vide que ce dieu met en scène?
Prenez le Dieu sacrilège de saint Jean de la
Croix. L'ascèse harassante à laquelle ce saint soumet les rabâchages de la
raison humaine délivre toute la philosophie du joug des cinq sens dont
dispose la créature et vous conduit au blasphème le plus resplendissant, à
savoir que Dieu n'est autre que l'âme du croyant portée à l'incandescence
des poètes de leur propre feu. Mais comment une civilisation qui aura perdu
en chemin la clé du sommital s'exercerait-elle à une connaissance
existentielle des âmes ascensionnelles? Notre Renaissance d'il y a un
demi-millénaire nous a seulement redonné quelques belles voix de ce bas
monde; mais si notre humanisme, devenu bidimensionnel, ignore les
composantes mentales de la "théologie négative", comment
lirons-nous nos poètes en connaisseurs de leur feu?
Car les enfants d'Homère se demandent quelle est
l'existence propre à la poésie, les philosophes, quelle est l'existence
propre à la philosophie , les peintres, quelle est l'existence propre à la
peinture, les musiciens, quelle est l'existence propre à la musique. C'est
dans ce sens qu'ils disent que la proposition " la musique existe
" est tautologique car ce qui se définit dans l'ordre de l'esprit
existe en esprit. C'est en ce sens que Dieu est une musique de l'âme de ses
compositeurs, de ses orchestrateurs et de ses dessinateurs.
Un humanisme armé des scalpels de la vie
ascensionnelle des fuyards de leurs vallées est déjà un familier de
l'empire des morts, car il n'est pas d'élévation qui ne repose sur
l'apprentissage d'une ascèse intellectuelle dont une logique de l'esprit
aiguise le bistouri. Mais askèsis signifie simplement exercice en grec. Il
nous faut donc apprendre les secrets purificateurs d'une ascèse
ascensionnelle pour que ce guide de toute dialectique donne une âme et une
moisson à la "théologie négative" des mystiques et des
philosophes. L'humanisme occidental attend l'aube d'une renaissance qui
donnerait à l'humanisme en creux de l'Europe une connaissance des
"montagnes sans vallées", celles de la "logique
négative".
Les alpinistes du mont Carmel de la raison, savent
que la raison est à elle-même son Mont Carmel. A ce titre, la philosophie
est un purificateur de la pensée qui se fait, de son ascèse, un monastère
de l'intelligence du monde. Comment une vraie civilisation
reconnaîtrait-elle d'instinct la qualité spirituelle d'une voix de poète,
mais non la qualité d'une théologie négative, la qualité d'une ascèse
intellectuelle, mais non la température d'une sottise religieuse. Prenez
les descriptions imbéciles des ressuscités chez Thomas d'Aquin, qui
explicite les raisons pour lesquelles Jésus mangerait de bon appétit au
paradis à seule fin de satisfaire aux lois de la physique d'Aristote et
afin de convaincre à ce prix les bienheureux qui l'entourent qu'il est
ressuscité en chair et en os? Si l'Occident laïc n'acquérait pas une
connaissance abyssale des grands et des petits mystiques, comment cette
civilisation dirait-elle "nihil humanum a me alienum puto"
(Je pense que rien d'humain ne m'est étranger)?
On ne saurait avoir appris que tous les dieux sont
mortels sans savoir, en retour, de quels secrets ils nous entretenaient de
leur vivant et pourquoi ils ont démérité au point de trépasser dans nos
têtes, et ce que nous attendons des successeurs de leurs encéphales. Car,
d'un siècle à l'autre, nos dieux sont nos balances à nous peser nous-mêmes.
A quelle hauteur nous logeons-nous, quels miroirs mettrons-nous entre les
mains de nos "dieux" de demain, que disent nos Célestes des
sommets que nous leur donnons à gravir?
L'oiseau de Minerve du troisième millénaire
montera du crépuscule de l'Europe. Il nous dira quel regard le Dieu mort
portait sur les piaillements de ses quatre encéphales précédents. Alors les
purificateurs du sommital nous diront si la solitude à venir de l'humanité
sera une ascèse digne de la noblesse et de la grandeur d'Athéna, la déesse
de l'intelligence dont Renan disait: "J'arrive tard au seuil de tes
mystères ".
le 12 juin 2015
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